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Bilan carbone des services web publics : où est la vérité ? Que valent les chiffres fournis ?
Les acteurs du numérique sont de plus en plus nombreux à proposer une mesure des émissions carbone liées aux produits et services qu’ils vendent à leurs clients. Mais quid des services web publics ? Pourquoi et comment une entreprise doit-elle les intégrer dans le calcul de ses émissions carbone ?
Quelles émissions génère une requête Google ? Un prompt ChatGPT ? Une consultation de site web ? Une visioconférence Zoom ? Avec la directive CSRD (directive Corporate sustainability reporting), les entreprises européennes sont contraintes de mesurer puis de réduire progressivement leur impact environnemental, jusqu’à atteindre les objectifs du Green Deal européen : la neutralité carbone à l’horizon 2050.
Lors de l’achat d’un serveur, l’impact lié à sa fabrication est dorénavant connu et peut ainsi être intégré aux émissions carbone de l’entreprise, qui devra ajouter à ce chiffre les émissions liées à son utilisation. Le calcul devient un peu plus complexe pour les infrastructures ‘cloud’, car les opérateurs livrent souvent des informations incomplètes. Certains se bornent ainsi à comptabiliser les émissions liées à la consommation des serveurs, en oubliant sciemment la construction des datacenters, l’assemblage des machines et la maintenance de l’ensemble. Une grande partie des émissions est ainsi invisibilisée.
Services web en libre accès : la grande inconnue
Les choses deviennent encore plus compliquées avec les services web en libre accès, dont les plateformes d’IA. L’impact environnemental (émissions carbone) de ces outils utilisés au quotidien n’est que rarement connu… et pris en compte dans les des entreprises.
Première étape : mesurer les usages. Qui utilise quoi et à quelle fréquence ? Seconde étape : chiffrer l’impact de ces usages. Concernant la visioconférence, une étude menée en 2024 par Greenflex montre que la moyenne des émissions des grandes platesformes (Zoom, Teams, Webex…) serait d’environ 150 g d’équivalent CO2 (gCO2e) par heure et par participant. Voilà une excellente base pour un calcul des émissions carbone.
Pour d’autres services web, les chiffres deviennent plus flous. Par exemple, selon Google, les émissions de son IA générative Gemini seraient relativement similaires à celles de son moteur de recherche, soit 0,03 gCO2e par requête. Concernant le moteur de recherche de Google, ces chiffres sont contestés ; certains avancent plutôt des émissions de l’ordre de 0,2 gCO2e par requête. Pour l’IA générative, tout dépend de la taille du modèle mis en œuvre. En 2024, le site comparia.beta.gouv.fr estimait qu’une requête GPT-4o mini (35 milliards de paramètres) émettait 1,83 gCO2e, contre 55 gCO2e pour une requête au modèle hypermassif de Meta, Llama 3.1… avec ses 405 milliards de paramètres. Plus récemment, le français Mistral AI a indiqué qu’une requête à son modèle Large 2 émettait 1,14 gCO2e.
Dans ce contexte, le chiffre de 0,03 gCO2e donné par Google pour Gemini semble donc plus que douteux. Le premier biais est qu’il n’intègre pas les émissions colossales liées à l’entraînement des modèles. Le second biais consiste à minorer l’impact énergétique de Google. Nous nous retrouvons ainsi avec une entreprise américaine qui affirme acheter 100% d’électricité verte… dans un pays où seulement 43% de la production d’électricité est bas-carbone (selon le site Low-Carbon Power). Or, ce qui compte n’est pas ce que l’on achète, mais ce que l’on consomme effectivement.
Contrôler les usages et sensibiliser les utilisateurs
Au vu de la disparité des chiffres accessibles, la mesure des émissions carbone relatives à l’utilisation de services web ne peut être qu’approximative et devra être réévaluée régulièrement. Une fois le calcul - tant bien que mal - fait, place à l’action !
Première étape : bloquer les usages illicites de services web, notamment ceux se traduisant par de fortes émissions carbone. Rappelons par exemple que, selon l’Ademe, une heure de streaming vidéo en 4K coûte 66 gCO2e. Seconde étape : reprendre le contrôle sur les services autorisés. C’est par exemple ce qu’a fait le groupe La Poste, en interdisant le recours aux IA génératives publiques, les employés devant passer par une solution dédiée : La Poste GPT. Avant de pouvoir accéder à ce service, ils doivent par ailleurs s’engager à respecter la charte IA du groupe, qui les sensibilise notamment sur les impacts éthiques et environnementaux de cette technologie.
Rappelons enfin qu’une partie non négligeable des émissions des services web est liée à la transmission de données. S’appuyer sur des datacenters situés en Europe est donc bénéfique pour l’environnement. La souveraineté peut aussi aller de pair avec une baisse des émissions carbone ! Attention toutefois au mix énergétique du pays visé : l’Allemagne est souvent choisie pour héberger des infrastructures ‘cloud’, alors que le pays ne produit que 56% d’énergie bas-carbone, contre 96% pour la France, qui se repose massivement sur ses centrales nucléaires.