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IA au travail : familiarité croissante, formation à la traîne
Perceptions, usages et besoins des actifs vis-à-vis de l'IA, le baromètre 2025 de Centre Inffo avec l'Institut CSA consacre pour la première fois une section entière à l'intelligence artificielle (IA) et à son impact sur le monde professionnel. Le baromètre met en évidence un paradoxe de taille : si les actifs perçoivent nettement les impacts à venir, ils peinent encore à anticiper leur propre montée en compétences sur le sujet. Un signal fort pour les DRH, sommés d’intégrer dès maintenant l’IA dans leurs stratégies de formation.

L'IA n'est plus une simple promesse : elle est déjà intégrée dans le quotidien de nombreux actifs. En 2025, 53 % des répondants déclarent l’utiliser dans un cadre professionnel, un chiffre qui monte à 64 % si l'on inclut les usages personnels. C’est ce que dévoile le 6ème baromètre de Centre Inffo (association sous la tutelle du ministère en charge de la formation professionnelle), consacré aux actifs et à la formation*. Ces usages sont principalement motivés par la recherche d'informations : les actifs utilisent l'IA pour accéder rapidement à des données pertinentes ; et l'aide à la rédaction, via par exemple des outils comme ChatGPT qui sont plébiscités pour la rédaction de mails, rapports ou synthèses. Ces usages montrent que l'IA est perçue comme un levier de productivité, mais aussi comme un outil d'assistance dans des tâches complexes ou chronophages. Pour les professionnels RH, il est essentiel de comprendre ces usages pour mieux accompagner les collaborateurs dans leur appropriation.
Sujet familier pour la majorité des actifs
83% des répondants déclarent bien connaître l'IA, un chiffre qui témoigne de son omniprésence. Si l'IA est aujourd'hui un sujet qui parle à une très large majorité des actifs, cette familiarité n'est pas uniforme. Les jeunes (18-24 ans) sont les plus à l'aise avec le sujet –84 % d'entre eux se déclarent par exemple à l'aise avec les outils d'IA comme ChatGPT. À l'inverse, les plus de 50 ans (49 %) et les fonctionnaires (51 %) se montrent nettement plus réservés, voire méfiants. Ces écarts soulignent une fracture générationnelle et sectorielle dans l'appropriation de l'IA. « La barre des 35 ans est assez déterminante dans la vie professionnelle », souligne Julie Gaillot, codirectrice de pôle au sein de l’institut CSA. Pour elle, « il y a deux mondes différents qui n’ont pas la même perception et la même aisance avec les outils ». Un défi que les entreprises doivent relever pour éviter de creuser un fossé technologique au sein de leurs équipes. D’autant plus que 41% des actifs se disent mal informés sur le sujet. Un chiffre qui grimpe à 55% chez les fonctionnaires, 53% dans l’administration, la santé, et l’action sociale, 52% chez les 50-64 ans et à 50% chez les chômeurs.
Perception nuancée des bénéfices et des risques
Pour 78% des actifs, l’IA va transformer significativement leur manière de travailler. Si celle-ci est globalement perçue comme une opportunité, ils restent conscients de ses risques. Selon le baromètre, 76% des actifs indiquent disent que l’IA va leur permettre de gagner du temps et 43 % la voient comme une opportunité pour développer ou améliorer leur activité professionnelle. Ce sentiment est particulièrement fort chez les cadres (56 %) et les jeunes (55 %). Parmi les bénéfices perçus, des gains de productivité, l'IA permettant d'automatiser des tâches et d'optimiser les processus ; une meilleure gestion des données – ses outils facilitant l'analyse et l'exploitation des données ; et de nouvelles solutions techniques, l'IA ouvrant la voie à des innovations dans de nombreux secteurs.
Cependant, les risques ne sont pas négligés. Ainsi, 27 % des actifs la perçoivent comme une menace, notamment les employés (31 %) et les ouvriers (47 %). Parmi eux, des questions éthiques, avec des actifs qui s'inquiètent des biais potentiels des algorithmes et de leur impact sur les décisions. Ou encore le risque d’une dépendance accrue : certains craignent de devenir trop dépendants des outils d'IA au détriment de leurs compétences humaines. Et enfin un impact sur la qualité du travail dans le sens où l’intelligence artificielle pourrait déshumaniser certaines interactions professionnelles.
Besoin de formation
Si l'IA suscite un réel intérêt chez les actifs, elle soulève aussi des besoins en formation. 72 % de ceux utilisant l'IA dans un cadre professionnel ressentent ainsi le besoin de se former davantage. Un besoin qui se révèle particulièrement fort chez les jeunes (78 %) et les personnes en reconversion professionnelle (93 %). « Il y a un besoin de formation très prégnant. Les Français manquent d’une boussole », signale Julie Gaillot. Les compétences les plus attendues concernent le choix des bons outils : apprendre à sélectionner ceux les plus adaptés à leurs besoins ; maîtriser l'utilisation de l'IA pour gagner en efficacité et automatiser des tâches répétitives ; aussi, pouvoir évaluer la fiabilité des informations ; formuler des demandes efficaces ou encore maîtriser les enjeux de confidentialité et de protection des données.
Une prise de conscience à structurer
Le baromètre révèle que l'IA est omniprésente dans les discours, mais qu'elle peine encore à s'imposer dans les plans de formation des entreprises. Seuls 40 % des actifs l’utilisant dans un cadre professionnel ont déjà suivi une formation sur le sujet, un chiffre qui montre un retard dans l'accompagnement des collaborateurs. Pour les dirigeants, il est urgent de structurer des politiques de formation à l'IA, en intégrant ces compétences dans les parcours de développement des talents. Cela passe par des formations ciblées avec la proposition de modules adaptés aux besoins spécifiques des collaborateurs, en tenant compte de leurs niveaux de compétence (débutant, confirmé, expert). Et par des formations sur la sensibilisation aux enjeux éthiques et la confidentialité ; sur les bonnes pratiques pour éviter les risques liés à l'IA et enfin sur un accompagnement personnalisé, en fonction du secteur et des responsabilités des collaborateurs.
* Etude menée en ligne en février 2025 auprès de 1 621 actifs français âgés de 18 ans et plus lig dont 490 cadres seniors de 55 ans et plus et téléphonique réalisée auprès de 1 002 entreprises employant au moins un
Pla formation professionnelle, les actifs plébiscitent les canaux numériques (38% utilisent les moteurs de recherche, 27% consultent des sites Internet spécialisés). Les échanges avec l'employeur (32%) et le réseau professionnel (25%) sont également des sources d'information importantes. Parmi les dispositifs de formation les plus connus, l'apprentissage et le bilan de compétences (par plus de 90 % des actifs). La Validation des Acquis de l'Expérience (VAE), suscite l'intérêt de 59% d’entre eux, notamment parmi les plus jeunes, les employés et ceux ayant déjà connu une période de chômage. En revanche, des dispositifs comme le CEP (45%), Pro-A (36%) et Cléa (31%) nécessitent de renforcer leur visibilité.
Charlotte DE SAINTIGNON