L’Union européenne touchée en plein cœur d’acier !
L’acier en Europe connaît une très grave crise structurelle, que l’UE peine à arrêter faute d’emprise réelle sur ce marché mondial dominé par la production chinoise. Éclairage.

C’est
une nouvelle douche froide qui n’est pas sans rappeler les pires
heures de la sidérurgie française : ArcelorMittal, le numéro
un mondial de l’acier, va supprimer plus de 600 emplois en
France ! La crise que traverse l’acier européen n’est
cependant pas liée uniquement à une conjoncture défavorable, même
si, en tant qu’intrant de production pour de nombreuses autres
industries, l’acier demeure un marché cyclique très dépendant de
la croissance. Actuellement, entre demande en berne et compétitivité
très dégradée, ce sont les structures mêmes de production de
l’acier au sein de l’UE qui sont ébranlées.
L’acier,
un marché mondial dominé par la Chine
L’acier
est devenu un marché mondial qui, après une période de stagnation
entre les années 1980 et 1990, a connu une très forte envolée
de la production avec l’émergence de la Chine au début des
années 2000. À tel point que l’Empire du Milieu représente
environ 50 % de la production et 50 % de la demande d’acier
dans le monde. Dans ce contexte, il y a désormais un déséquilibre
structurel sur le marché mondial de l’acier entre une offre
pléthorique et une demande en berne, dont celle de la Chine qui est
en net recul après le marasme industriel résultant de sa mauvaise
gestion de la pandémie et l’éclatement de la bulle immobilière.
Le
gouvernement chinois continue néanmoins, depuis plus de 10 ans,
à subventionner sans vergogne la surproduction d’acier, situation
qui oblige ses industriels à rechercher à l’export des débouchés
à leurs surplus. L’acier chinois envahit depuis tous les pays,
laminant par ses prix faibles les industries nationales, en Asie,
mais aussi en Europe.
Une
crise structurelle
Au-delà
du retournement des marchés de l’automobile et de la construction,
les sidérurgistes européens subissent une réorientation
structurelle de la demande d’acier vers la production chinoise,
dont les prix sont bien plus compétitifs. À cela s’ajoutent des
objectifs de décarbonation (remplacement de hauts-fourneaux par des
fours électriques, hausse du prix unitaire du CO2, etc.)
difficilement compatibles avec une recherche de compétitivité dans
la sidérurgie européenne face à l’Asie et aux États-Unis. Ce
d’autant plus que ces derniers disposent d’un avantage compétitif
dans le coût de l’énergie. L’un dans l’autre, rien d’étonnant
à ce que les aciéristes européens réduisent la voilure, jusqu’au
point où le taux d’utilisation des capacités de production dans
l’UE — aujourd’hui aux alentours de 60 % — atteindra un
seuil de non-rentabilité.
Pour
l’heure, le bilan est clair. Selon l’association mondiale des
producteurs d’acier, Worldsteel,
la production d’acier au sein de l’UE a reculé de 30 % en
15 ans, entraînant la suppression de 100 000 emplois. Et
ce n’est pas fini, comme en a
témoigné
le président d’ArcelorMittal France lors de son audition, en
janvier dernier, devant la commission des Affaires économiques de
l’Assemblée nationale : « la sidérurgie en Europe est
en crise […] Les sites quels qu’ils soient, sont tous à risque
en Europe, et donc en France aussi ». Au-delà du cas
ArcelorMittal en France, ThyssenKrupp
a annoncé son intention de licencier 40 % de ses effectifs,
tandis qu’en Italie, l’aciérie de Tarente est très proche de
la faillite… Triste réalité pour une Union européenne qui s’est
constituée en 1951 sur la Communauté européenne du charbon et de
l’acier (CECA).
L’UE
trop timorée
Les
États membres de l’UE sont bien sûr conscients de la menace,
comme en témoigne la très récente déclaration commune de la
Belgique, de l’Italie, l’Espagne, la France, du Luxembourg, de la
Roumanie et la Slovaquie appelant à un plan d’action d’urgence
pour la sidérurgie européenne. C’est qu’il y a le feu au lac,
la sidérurgie étant, selon les termes de ce texte, « une
composante majeure de notre souveraineté industrielle ».
Hélas, les 25 mesures antidumping sur l’acier prises par la
Commission européenne depuis 2014 semblent bien timorées, dans la
mesure où elles visent certes juste, mais ne frappent pas assez fort
pour être dissuasives.
Et
depuis l’annonce tonitruante de droits de douane sur l’acier et
l’aluminium par Donald Trump, l’UE redoute tout à la fois une
hausse de ses prix de vente à l’étranger et une réorientation
des flux d’exportation de la Chine vers l’UE, qui aggraveraient
encore plus le problème de compétitivité de l’industrie
sidérurgique. D’où l’annonce, le 19 mars, d’un énième
« plan d’action européen pour l’acier et les métaux »,
qui a certes pris des mesures d’urgence, mais pas encore le taureau
par les cornes. Il faudrait surtout que le mécanisme d’ajustement
carbone aux frontières (MACF) de l’Europe soit mieux précisé,
afin de ne laisser planer aucune incertitude pouvant désavantager
les industriels qui auront investi lourdement pour respecter les
objectifs de décarbonation.
Assurément, il y a urgence, car la crise de l’acier, nouvel avatar de la désindustrialisation accélérée de l’UE, pourrait entraîner dans son sillage de nombreux pans de ce qu’il reste d’industrie en Europe…