Le premier bâtiment à 70 % de matériaux de réemploi à Abbeville
À 40 ans, Maxime Lemaitre est en passe de réussir son pari : construire et aménager un bâtiment de 850 m² culminant à 7,50 m de haut composé en majorité de matériaux de seconde main sur la zone industrielle de la baie de Somme. Il nous parle de sa philosophie et de ses projets à venir comme l’ouverture d’un village du réemploi.

Pouvez-nous nous expliquer ce que ce bâtiment aura de particulier ?
Au printemps 2026, ce sera notre futur bâtiment totem et le siège social de mes deux sociétés, Lemaitre Environnement et Lemaitre Réemploi, qui occupent 8 personnes. La charpente, les fermes, les bracons, les 4 croix de Saint-André, les tenons, les mortaises… ont été récupérés majoritairement sur un chantier de déconstruction d’un bâtiment industriel qui était dans le nord de la France et sur celui d’un bâtiment de négoce de bois et de matériaux à Abbeville. Les poteaux proviennent du sinistre que nous avons subi mi-décembre. Une autre charpente, issue de la déconstruction d’un bâtiment agricole, avait été montée. Malheureusement, nous avons subi du vandalisme. Je l’ai retrouvée par terre…
Mais nous n’avez pas renoncé…
Cela a été terrible à vivre. J’ai du placer le site sous surveillance. Très vite, j’ai décidé de reconstruire. Le bardage extérieur en bois vient de Saint-Omer. Les stocks devaient être utilisés pour construire un bâtiment communal mais ils ont été abimés lors des inondations… Un bardage métallique de réemploi est aussi prévu. Ce sera un véritable patchwork. Le bâtiment comportera deux niveaux réalisés en charpente bois lamellé collé et une toiture terrasse accessible. Seules, les pannes, la couverture en bac acier et quelques autres matériaux seront neufs. Au total, le bâtiment sera constitué à 70 % de matériaux de réemploi. Ce sera une première en France. Il fera 24 mètres par 36. Au plus haut, il mesurera 7m50.
Comment sera l’intérieur ?
Des cloisons vitrées issues de l’ancien site de la CPAM d’Amiens seront utilisées pour les bureaux. Cela partait à la poubelle alors que cela coûte une fortune. Nous avons récupéré sur ce même chantier du mobilier, des luminaires, des extincteurs, des blocs de secours… Pour le chauffage des bureaux, on installera des poêles en fonte eux aussi trouvés sur des chantiers. Logiquement, ils seront alimentés avec du bois de récupération. Nous sommes allés chercher 90 tonnes de graviers provenant du chantier du centre hospitalier universitaire d’Amiens. Ils permettront d’aménager les extérieurs. Une cuve de 60 000 litres de récupération d’eau de pluie permettra d’alimenter en eau : le bâtiment, la sécurité incendie et la station de lavage de véhicules.

Pourquoi nourrissez-vous une telle sensibilité environnementale ?
Je suis natif de Vron et issu du milieu agricole. Le bon sens paysan a toujours été important pour moi. Dans le domaine du bâtiment, il y a beaucoup de gaspillage. J’ai passé un BTS technico-commercial option matériaux à Arras en partenariat avec un négociant. J’ai fait un stage à Amiens Métropole puis j’ai été recruté en 2007 comme technicien pour m’occuper des marchés de déconstruction et de désamiantage routier et immobilier. Une fois ingénieur, j’ai monté des projets de réemploi. Par exemple, près de 7 000 sièges ont été démontés lors de travaux menés au stade de la Licorne à Amiens. Les trois quarts ont été réinstallés au stade Moulonguet à Amiens et dans des petits clubs de sports d’Amiens Métropole. La première année, 72 000 euros d’achats ont été évités et la seconde 160 000 ! Quand j’ai voulu m’attaquer au réemploi structurel, ils ont trouvé que j’allais trop loin.
Vous êtes donc partis…
Oui. En 2020, j’ai créé Lemaitre environnement à Huchenneville. J’ai voulu d’abord commencer par la démolition/désamiantage avant de passer au réemploi. On m’avait dit que ce serait impossible de construire un bâtiment pouvant accueillir du public avec des matériaux de seconde main. Il y a 3/4 ans, tout le monde me fermait la porte au nez. Ils pensaient que tout allait s’écrouler comme un château de cartes. Je suis en train de prouver le contraire. Un deuxième bâtiment en structure métallique va être édifié dans les prochains jours grâce au réemploi à Flixecourt et un second va être réalisé dans cette même matière à Abbeville. Des particuliers me demandent même de construire des lofts ! L’essentiel est de démonter tout proprement. J’ai conscience que je suis à part, que je suis avant-gardiste. Maçons, charpentiers, menuisiers, bardeurs… mes salariés et moi faisons tous les métiers. Chaque chantier est différent mais nous avons la même volonté d’aller dans le même sens.
Vous avez même réussi à obtenir une garantie décennale…
Nous avons réuni un bureau d’études, un bureau de contrôle et un assureur a, enfin, accepté que l’on puisse souscrire une décennale dommages/ouvrages. Le réemploi, c’est l’avenir. D’autant que les matériaux que nous récupérons comme les charpentes métalliques sont de bien meilleure qualité que celles fabriquées aujourd’hui. A ce jour, nous avons réalisé une quinzaine de déposes dans les Hauts-de-France. Nous réalisons actuellement un chantier du côté de Rennes, en Bretagne. La loi Agec de janvier 2024 stipule que cela doit être la première issue pour tous les matériaux et matières premières. Même les architectes jouent de plus en plus le jeu.

Avez-vous un nouveau projet ?
Oui, notre lieu de stockage se trouve près de la route de Rouen. Quand notre bâtiment sera fonctionnel, nous l’ouvrirons au grand public. Cela sera un village du réemploi, un magasin de bricolage de la seconde main. Par exemple, nous avons réalisé le curage de l’ancien hôpital nord d’Amiens. Nous avons récupéré lavabos, éviers, portes, fenêtres, dalle de faux plafonds… qui seront mis en vente.
Vous avez déjà reçu des prix ?
Oui, en 2023, le premier prix dans la catégorie réduire ses déchets des entreprises innovantes des Hauts-de-France. Puis, en 2024, un prix lors des trentièmes trophées de l’économie responsable décerné par le réseau Alliances. Nous figurons 70ème au classement régional Choiseul comme leader économique de demain. C’est encourageant pour l’avenir.