Transports/ Concurrence

Le train, ce n’est plus forcément la SNCF

Transdev, Trenitalia, RATP… Les voyageurs découvrent progressivement d’autres opérateurs ferroviaires. Si les régions en attendent une amélioration du service, les usagers s’inquiètent de la période de rodage et d’une information aux voyageurs qui reste parcellaire.

Distributeurs Trenitalia, gare de Lyon à Paris (c) O.RAZEMON
Distributeurs Trenitalia, gare de Lyon à Paris (c) O.RAZEMON

En montant dans un train au nez effilé et à la livrée rouge de la compagnie italienne Trenitalia, l’habitué des trajets entre Lyon et Paris éprouve très vite un sentiment de dépaysement. Les sièges ne ressemblent pas à ceux d’un TGV de la SNCF, les places ne sont pas numérotées de la même manière, on ne range pas ses bagages au même endroit. Deux ambiances sonores sont proposées, « allegro » et « silenzio », en fonction du niveau de bruit que l’on est disposé à supporter. Au comptoir du wagon-bar, il est possible de se faire servir un vrai café italien, pour seulement 1,5 euro.

Ces petites surprises de la vie, les usagers du train vont pouvoir les multiplier, avec le développement des services concurrents à la SNCF, pour la grande vitesse comme pour les trains régionaux. Le processus, voulu par l’Union européenne, « s’intensifie », témoigne Jean-Aimé Mougenot, directeur délégué pour les TER à la SNCF, s’exprimant lors d’une conférence organisée le 15 mai par le magazine spécialisé Ville, rail et transports. « La concurrence était possible depuis 2019, elle est obligatoire depuis 2023 », précise-t-il en ajoutant que, « en 2030, 60% des TER circuleront sous le mode de la délégation de service public ». La SNCF a conservé trois des cinq lots dont le destin a déjà été tranché : les alentours d’Amiens, les environs de Nantes et la Côte d’Azur.

Pour l’entreprise ferroviaire, c’est un bouleversement. « La concurrence fait tout bouger à la SNCF », confie une dirigeante. Même lorsque la ligne reste exploitée par l’opérateur historique, « on passe d’une intégration verticale à des sociétés autonomes », complète Jean-Aimé Mougenot. Si « pour le personnel, les métiers ne changent pas, l’encadrement doit s’adapter ». En d’autres termes, « ce n’est pas business as usual ».

Pour les régions, l’affaire n’est pas simple non plus. « Il faut s’en donner les moyens », notamment en terme de personnel, explique Jean-Pierre Serrus, vice-président (majorité présidentielle) en charge des transports de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Pendant une période de concertation qui a duré trois ans, la région a dû dresser un mur « étanche » entre les équipes chargées de faire fonctionner le contrat en cours avec la SNCF et celles qui mettaient en place la future concurrence.

La SNCF, lauréate du marché azuréen pour dix ans, a créé une filiale ad hoc baptisée Sud Azur, qui a commencé à exploiter les lignes le 15 décembre. Jean-Pierre Serrus se réjouit de proposer désormais « une offre au quart d’heure entre Cannes et Menton » (Alpes-Maritimes) ainsi que « plus de trains tardifs, notamment lors des événements importants comme le festival de cinéma de Cannes ». Le taux de régularité atteint « 97 à 98% », assure le vice-président. Cette affirmation n’empêche pas la Fnaut (Fédération nationale des associations des usagers des transports) de déplorer des suppressions de trains.

Des rames manquent en Paca

Dans la même région, les circulations entre Marseille et Nice seront confiées à partir du 29 juin au groupe Transdev, détenu par le groupe familial allemand Rethmann depuis le début de l’année. « L’offre a été doublée, avec 14 allers-retours par jour, 16 rames neuves remplacent les trains Corail. Il y a plus de place pour les bagages, l’accès aux personnes à mobilité réduite est assuré, et les trains sont équipés de distributeurs automatiques de boissons et d’en-cas », affirme Edouard Hénaut, directeur général France de Transdev. L’entreprise de transports reconnaît toutefois « un sujet qui grince, la capacité d’Alstom à livrer ses rames à temps ». Le constructeur devait produire seize rames pour la ligne Marseille-Nice, et n’en fournira dans un premier temps que la moitié. Transdev doit recourir à des rames louées à d’autres régions, ce qui fait bondir les associations d’usagers comme les syndicats, qui craignent une dégradation du service. Les mêmes s’interrogeaient par ailleurs, en février, sur la capacité de Transdev à recruter suffisamment de personnel. Edouard Hénaut tient à rassurer, en précisant que le recrutement des 220 salariés a été effectué, qu’un centre de maintenance sera inauguré en juin et que Transdev disposera de « bureaux à la gare de Marseille Saint-Charles ».

L’ouverture à la concurrence semble si prometteuse que même les perdants s’accrochent. Même après avoir perdu deux appels d’offre, la RATP y croit encore. « RATP Dev sait reprendre les réseaux, nous avons repris 40 réseaux urbains en 15 ans », vante Antonin Roques, directeurs des offres.

Les opérateurs ne font pas preuve de la même ténacité au sujet de l’information due aux voyageurs. Sur l’application mobile de la SNCF, très utilisée, seuls les trains maison sont signalés. En gare, la compagnie historique se contente du strict minimum, en indiquant les départs « 20 minutes avant, sur les écrans », signale Eliane Barbosa, directrice exécutive des gares de la branche Gares et connexions.

Faudra-t-il télécharger une application par opérateur ? Cette complexité n’est pas sans rappeler l’incompréhensible multitude des marques régionales, Zou en Paca, Fluo dans le Grand Est, Rémi en Centre-Val de Loire ou BreizhGo en Bretagne. Pas de quoi émouvoir Jean-Aimé Mougenot, à la SNCF : « On fonctionne comme l’aérien. C’est discutable, mais c’est le modèle retenu ». En réponse, Edouard Hénaut, chez Transdev, glisse que « mon meilleur ami, partout en France, c’est Trainline », une application qui agrège l’ensemble des opérateurs. Entre Paris et Lyon, il arrive que des voyageurs ratent leur train Trenitalia, en raison d’une information défaillante.

Olivier RAZEMON