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Industrie

Les PME et ETI de l'agroalimentaire face à un «mur» d'investissement

Les PME et ETI du secteur de l'agroalimentaire font face à des enjeux de modernisation et décarbonation indispensable à leur survie et à la souveraineté alimentaire de la France. Mais elles ne disposent pas des moyens nécessaires. 

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Décrochage ? Le 10 octobre, à Paris, Pact'Alim, syndicat professionnel qui regroupe 3 000 PME et ETI françaises du secteur de l'agroalimentaire tenait une conférence de presse alarmante. L'enjeu dépasse la seule survie de ces entreprises, selon les études du cabinet Roland Berger. « Près de la moitié de la production agricole française est transformée par nos ETI et PME, très majoritairement en France », explique Alain Chagnaud, senior partner chez Roland Berger. Or, le secteur fait face à « deux murs d'investissement, deux défis à relever ». Le premier, la décarbonation, indispensable pour réduire l'empreinte carbone de l'activité. Le second, la modernisation, nécessaire pour assurer la rentabilité et la compétitivité des sociétés. Résultat, selon Alain Chagnaud, un potentiel « dilemme d'investissement. Il faut arbitrer entre ces deux impératifs, même si parfois ils se rejoignent », analyse-t-il. Cela peut être le cas, lorsque la décarbonation se traduit par une économie d'énergie. Mais généralement, « le ROI [retour sur investissement] est souvent plus long à atteindre pour ces investissements que pour ceux liés à la modernisation », pointe Alain Chagnaud. Les démarches de décarbonation impliquent aussi d'autres difficultés. « Il existe des enjeux de complexité technique et de recrutement. Il n'est pas facile de trouver des spécialistes de décarbonation pour la filière. Les procédés ne sont pas standard ; il faut construire les projets », poursuit Alain Chagnaud. Au total, selon lui, l'ampleur des investissements à réaliser est telle qu'elle pourrait engendrer « une forme de renoncement ».

Le cabinet Roland Berger évalue les sommes à une moyenne de 6 à 8 millions d'euros par entreprise. Un effort « colossal » au niveau du secteur, indique Alain Chagnaud. En effet, les investissements annuels actuels sont dix fois inférieurs, selon l'étude. Et plusieurs indicateurs montrent tout à la fois l'urgence de la situation et la difficulté d'y remédier. Le secteur connaît une dégradation de sa rentabilité, déjà traditionnellement inférieure à celle des autres industries manufacturières. D'ici 2035, elle pourrait même passer sous la barre des 5%, ce qui complique les investissements. Or, le parc industriel de l'agroalimentaire date : 23 ans en moyenne, contre 19 dans l'ensemble des industries manufacturières, et neuf ans pour celles allemandes.

D'autres « signaux » semblent confirmer une insuffisance des investissements en modernisation. A commencer par l'augmentation des importations, par exemple de produits laitiers fermentés, ou des préparations à base de viande. En outre, « nous observons une baisse de la part de la France en matière d'export de produits agroalimentaires transformés, signe d'une baisse de compétitivité », ajoute Alain Chagnaud.

« C'est l'aspect environnemental qui m'a fait passé le cap »

Les « murs » de l'investissement ne relèvent pas du mythe, a témoigné Jean-Xavier Lévêque, directeur général de Sodeleg, lors de la conférence de presse. L'entreprise des Hauts-de-France est spécialiste de la déshydratation des oignons qu'elle commercialise en B to B. Sa première charte de développement durable date de 2008... Dès 2019, la société aux process énergivores ( gaz et électricité) décide de s'engager dans une démarche de décarbonation. A l'époque, « il n'y avait pas grand chose », pointe le dirigeant, qui finit par trouver un dispositif innovant. Au final, « nous avons baissé la consommation de gaz de 10% en cinq ans », constate-t-il. Montant de l'investissement ? 1,5 million d'euros, le tiers financé par le fond chaleur de l'Ademe, l'Agence de la transition écologique. « Je ne suis pas sûr qu'on l'aurait fait sans les aides », relève Jean-Xavier Lévêque. Et même avec les aides, le ROI était de huit ans ! « nous n'avons pas de visibilité de huit ans sur le business. C'est l'aspect environnemental qui m'a fait passé le cap », pointe l'entrepreneur qui se définit aussi comme un « citoyen », soucieux des générations futures.

Démarche vertueuse

Au final, la démarche vertueuse s'est révélée aussi fructueuse : avec l'augmentation du coût de l'énergie, le ROI, passé à quatre ans, a déjà été atteint. L'entrepreneur fait aussi évoluer ses process pour les rendre plus sobres sur le plan hydrique. « Dans le nord de la France nous sommes épargnés, mais c'est un sujet d'avenir », commente Jean-Xavier Lévèque. Et il travaille également avec l'amont : plus les producteurs lui fourniront des oignons riches des matières sèches, moins il aura besoin d'utiliser d' énergie pour les déshydrater... Au total, « nous avons fait beaucoup de choses. Au début, on fait vite des progrès, mais il reste beaucoup à faire pour décarboner les processus, et il nous faut continuer à investir pour la sécurité des salariés, à se moderniser pour être compétitif ».

Parmi ses projets actuels figure un nouveau four, afin de répondre à la demande qui augmente. L'entrepreneur voudrait un équipement le moins consommateur d'énergie possible, ce qui va demander de lourds investissements. Mais le contexte a évolué qui pourrait bien rehausser encore le « mur » à franchir. « Est-ce que l'on est capable de le valoriser auprès des clients ? s'interroge Jean-Xavier Lévêque Ces dernières années, ils étaient très à l'écoute. Dans la phase que nous traversons, c'est plus compliqué. Tout le monde regarde son compte de résultat ». Sur un autre marché, « ces investissements RSE ne sont absolument pas pris en compte par les distributeurs dans le cadre des négociations commerciales que nous vivons », alerte Jérôme Foucault, président de Pact'Alim.