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Economie

Les sénateurs étrillent la gestion de la commande publique

Les 400 milliards d'euros de la commande publique ne servent pas les objectifs de souveraineté ou de développement économique du pays dénonce une commission d'enquête sénatoriale.

© Adobe Stock.
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Le reproche ne concerne pas l'importance des dépenses, mais leurs modalités. Le 9 juillet, à Paris, les sénateurs Dany Wattebled (Les Indépendants – République et Territoires, Nord) et Simon Uzenat ((Socialiste, écologiste et républicain, Morbihan), respectivement rapporteur et président de la commission d'enquête sur « les coûts et les modalités effectifs de la commande publique et la mesure de leur effet d'entraînement sur l'économie française », ont présenté leurs conclusions.

Proposant 67 recommandations, la commission dresse un tableau très critique de la gestion de la commande publique (400 milliards d'euros annuels). « Il n'y a pas de chef de file », pointe Dany Wattebled. Concrètement, il n'existe pas de coordination entre les diverses administrations concernées : DAE, Direction des achats de l’État, DGOS, Direction générale de l’offre de soins, DAJ, Direction des affaires juridiques des ministères économiques et financiers, CGDD, Commissariat général au développement durable....Pour la commission, la responsabilité du pilotage devrait se situer au plus haut niveau de l’État, confiée au Premier ministre. En outre, « le Parlement devrait être mieux associé avec chaque année, un débat parlementaire », préconise Dany Wattebled. En effet, les dépenses publiques revêtent une importance stratégique majeure, en particulier dans le contexte actuel de contrainte budgétaire : elles doivent servir les enjeux de souveraineté de la nation, son développement économique et en particulier celui des PME, et ce dans une optique durable, l’ensemble formant un tout « indissociable et dispensable », pointe Simon Uzenat.

Cette orientation implique des évolutions dans les procédures mêmes de la commande publique. Avec, en particulier, une plus grande liberté accordée aux acheteurs publics. Ceux-ci devraient être libérés de la « peur du risque pénal ». A cette fin, le champ du délit de favoritisme devrait être restreint, prône la commission. Et des outils statistiques et de traçabilité de la création de valeur de la commande publique devraient être mis en place pour s'assurer qu'elle remplisse ses objectifs stratégiques.

Des choix de « confort » dangereux et finalement coûteux ?

En la matière, les sénateurs ont relevé des « erreurs caractérisées » ou des « défaillances ». Comme le non respect des obligations de la loi Egalim en matière de restauration collective publique : en 2023, 15% seulement des établissements se conforment à l’obligation de proposer 50 % de produits durables et de qualité et 30,4% à celle de proposer 20 % de produits issus de l’agriculture biologique. Dans un autre domaine, celui du numérique, l’État s'est démontré incapable d'assurer sa souveraineté via sa politique d'achat en recourant aux Gafam, les géants américains du numérique. Le ministère de la Santé a confié à Microsoft, éditeur américain, l'hébergement de la Health Data Hub – plateforme des données de santé (PDS), instituée en 2019. Destinée à piloter le système de santé et à stimuler la recherche, elle concentre des données sensibles. Or, Microsoft est exposé aux effets des lois extraterritoriales américaines pouvant conduire à des fuites de données... Les explications du ministère de la Santé, auditionné, n'ont pas convaincu les sénateurs. C'était un choix de « confort », juge Dany Wattebled. Selon le rapport, la solution Microsoft était facilement accessible et bon marché, mais une solution française existait qui présentait « des coûts de production plus importants et des délais de mise en œuvre de cinq à huit mois supérieurs ». Pis, la solution Microsoft qui devait être temporaire est toujours en place... « Le Danemark a annoncé sa sortie de l'écosystème des Gafam pour des raisons de souveraineté et de sécurité », ajoute Simon Uzenat. En outre, les solutions des Gafam ne sont pas aussi compétitives sur le plan économique qu'elles en ont l'air. La police nationale qui s'est équipée du système d'exploitation de Microsoft, Windows, a été obligée de changer son parc de machines lors du passage à Windows 11. Ce qui n'est pas le cas de la gendarmerie, qui a opté pour une solution de logiciels libres.

Place aux start-up et aux PME

Le recours aux Gafam et autres prestataires externes cause aussi un autre problème : il réduit l'accès des start-up françaises à la commande publique. Les sénateurs citent, à cet égard, le cas de l'Imprimerie Nationale pour la nouvelle carte nationale d’identité électronique. « Nous n’avons jamais été consultés sur le projet de CNIe,malgré toutes les recommandations obtenues de la part du ministère de l’Intérieur », a déclaré Cosimo Prete, président de CST, Crime Science Technology, deeptech lilloise, aux sénateurs, d'après leur rapport. La société compte pourtant parmi ses clients le FBI, Scotland Yard, et l'imprimerie nationale allemande qui l'a choisie pour sécuriser son nouveau passeport biométrique...

Dans la tech, « nous avons des pépites, mais elles n'ont pas de marché et elles se font racheter. C'est la commande publique qui les fait grandir, pas les subventions », argumente Dany Wattebled. La commission sénatoriale préconise donc de leur favoriser l'accès aux marchés publics, par exemple, en amenant les acheteurs à s'engager sur des objectifs d'achat auprès d'elles.


Dans le même sens, les sénateurs entendent favoriser davantage les PME. Ils proposent d'élargir la palette d'outils déjà existants, comme l'allotissement. Il s'agirait, par exemple, d'abaisser le plafond du chiffre minimal exigible aux entreprises candidates à un appel d'offre et de limiter la capacité des acheteurs publics à leur imposer des conditions concernant leurs capacités techniques ou opérationnelles . Mais une partie – non négligeable - de la bataille se joue à Bruxelles : la révision en cours de la réglementation européenne de la commande publique pourrait être l’occasion de mettre en place un Small Business Act à l'américaine. Il s'agirait, notamment, de réserver une part d'au moins 30% en valeur des marchés publics européens aux PME.