Management : ce que veulent les jeunes

Manuelle Malot, fondatrice du centre d'expertise NewGen Talent centre de l'EDHEC, est spécialisée dans l'analyse sociologique des aspirations, comportements et compétences des nouvelles générations de diplômés. Interview.

Manuelle Malot, auteure, conférencière, est fondatrice du centre d'expertise NewGen Talent centre de l'EDHEC. © Hervé Thouroude
Manuelle Malot, auteure, conférencière, est fondatrice du centre d'expertise NewGen Talent centre de l'EDHEC. © Hervé Thouroude

Il y a des détracteurs quant au «classement» des jeunes en générations X,Y et Z … Adrien Chignard, psychologue du travail, fustige dans la Harvard Business Review des «stéréotypes qui iraient jusqu'à être nuisibles au management». Que lui répondriez-vous ?

Je ne rentre pas tellement dans le débat de savoir si cela a été créé de toutes pièces par des consultants. Cela a certes sans doute été monté en épingle. Mais les études montrent une réalité. Vous prenez quelque chose de très concret : la durée du premier poste. Sur la génération X, elle était de plus de trois ans, sur la Y elle est à 27 mois, aujourd'hui sur la Z, on est à 18 mois ! Donc plus question de leur promettre des postes à horizon de trois ou six ans. Le jeune aujourd'hui n'a pas envie que l'on lui dresse un parcours. Il veut que sa carrière soit une suite de missions qui le développent, lui apprennent, le fassent contribuer utilement à la société, l'exposent au monde. Et ils passent à l'acte : ils changent rapidement de job, ou de mission au sein de leur entreprise.

Les aspirations des dernières générations ont-elles profondément changé ?

Ce qui est certain, c'est que la façon dont les jeunes les expriment a changé. Les aspirations professionnelles classiques des 18-30 ans – et plus systématiquement les étudiants ou au moment du premier job – sont : se développer sur le plan professionnel et personnel, et apprendre. Cette aspiration-là écrase toutes les autres. Et c'est ce qui les rend si mobiles. Il y a 35 ou 40 ans, chez des gens plus proches de la retraite ou dans la génération mai-68, on pouvait peut-être entendre la même chose. L'énorme différence, c'est qu'ils ne l'auraient pas exprimé au monde de l'entreprise mais au monde politique. Aujourd'hui, les enjeux environnementaux, sociétaux, sociaux et de gouvernance sont adressés à l'économique.

Le travail est-il toujours central pour la génération Z ?

Pour les jeunes désormais, le travail doit permettre de vivre, mais il n'est plus toute la vie. Il est toutefois une vraie source d'épanouissement, et 82% des jeunes ont une vision positive des entreprises. Le travail est important pour eux, c'est pour cela qu'ils ne veulent pas le négliger ! Mais il n'est plus au centre. L'organisation verticale, complexe, est le reflet pour eux d'un monde ancien. Pour autant, ils veulent participer à l'effort collectif, entreprendre, travailler.

La génération Z est-elle particulièrement compliquée à comprendre pour un dirigeant ? 

Mes premières études, je les ai appelées Les paradoxes de la génération Z. Je passe au moins 30% de mon temps auprès non pas des DRH mais des dirigeants, qui disent 'on ne les comprend plus, on n'arrive plus à les recruter ni à les garder, donnez-nous les clés'. C'est plus qu'une préoccupation. On est vraiment confrontés à une problématique : l'attraction, la fidélisation et l'engagement des jeunes générations. C'est considéré comme la priorité numéro un des dirigeants mondiaux. D'autant que démographiquement, on est à un moment assez extraordinaire : le départ en retraite des baby-boomers concomitant à un creux de natalité pour les 20-30 ans. La population de jeunes diplômés n'est pas assez massive et le marché de l'emploi joue donc en leur faveur.

Quel type de management recherchent-ils ?

Malgré tout, ils aspirent à une certaine stabilité dans l'entreprise. Et dans le cadre de cette assurance, ils ont besoin d'autonomie et de flexibilité. Par exemple, ils se sont emparés du sujet du télétravail. Mais à travers ce dernier, c'est surtout la question de la responsabilité et de l'autonomie qui transparaît. Ce qu'ils cherchent derrière, c'est la confiance de leur employeur. Face à cette génération-là, un manager qui ne tirerait son autorité que de son statut a très peu de chances de réussir. Ils cherchent un manager qui, encore une fois, va les développer, mais aussi les protéger, les défendre, les inspirer. Le problème, c'est que souvent les managers sont pris en étau entre une hiérarchie qui a des objectifs à réaliser et cette génération-là. Le manager subit beaucoup, alors que le jeune veut qu'il le fasse rêver…

Il faudrait donc davantage former au métier de manager ?

Il est certain qu'il faudrait davantage le valoriser et le professionnaliser. C'est désormais davantage un manager du sens que de l'autorité qui est nécessaire. Auparavant, c'était l'argument de l'autorité qui primait, maintenant c'est l'autorité de l'argument : il faut que le manager explique, explique et explique encore. Un jeune me disait 'je ne veux pas un manager qui surveille, je veux un manager qui veille'. Ne me managez pas, développez-moi. Or c'est compliqué parce qu'on ne les a pas formés à être ainsi. Quelqu'un qui a des compétences techniques va être promu alors qu'il n'avait pas spécialement vocation à être manager. Cela n'est plus possible. On a promu des gens compétents, mais pas forcément inspirants. Il y a une grande différence.

Les plus jeunes sont-ils davantage attirés par les PME ?

Elles sont en effet très attractives mais ne sont pas très connues des étudiants. Notre dernière étude indique que les universitaires et ingénieurs sont davantage attirés par les PME que les étudiants en école de commerce parce qu'ils font peu de stages dans ces sociétés-là. C'est en fait moins une problématique d'attractivité que de notoriété, d'exposition à cette jeunesse. Elles ont en tout cas une carte à jouer, car il y a une sympathie spontanée des étudiants qui se disent 'dans une PME, je ne retrouverai pas l'effet bullshit job que je vais avoir dans une grande entreprise. Et je vais voir mon impact beaucoup plus directement'. L'évolution transversale dans une PME est intéressante. Pour ces jeunes qui veulent apprendre et se développer, les PME peuvent répondre à cette problématique sans nécessairement les faire changer de poste. Il suffit de leur donner une mission transversale.

Comment faire travailler les plus anciennes générations avec les plus jeunes ?

Ceux qui par exemple vont partir à la retraite ont eu des enfants. Normalement, cela aide à comprendre cette jeunesse. Ils se disent 'ils osent dire tout haut ce que je pensais tout bas'. Parce que la quête de sens n'est pas nouvelle. Mais les plus anciens étaient amenés à faire des choix radicaux s'ils voulaient du sens : travailler dans l'ESS, l'associatif, le monde de l'Éducation, etc. Les jeunes se disent désormais que le sens doit pouvoir s'appliquer aux entreprises du monde marchand également. L'intergénérationnel n'est en fait pas vraiment un problème. Sauf pour ceux qui disent 'moi j'en ai bavé, il n'y a pas de raison qu'ils n'en bavent pas'...

Conseil à un dirigeant

«J'essaie d'expliquer aux entreprises que les revendications de la jeune génération sont parfois légitimes et qu'elles vont faire évoluer la société dans le bon sens. Je suis convaincue de l'impact positif des nouvelles générations sur le monde. Je reprendrais Oscar Wilde : 'La dernière génération est épouvantable, mais j'aimerais tellement en faire partie'. C'est un peu le message. Il faut les aimer parce que ce sont eux qui changeront le monde. Ils ont déjà commencé à le faire, d'ailleurs.»