Méconnus, atypiques : portrait des chefs d'entreprises rurales
A rebours des clichés, 10% seulement des chefs d'entreprises en milieu rural estiment que leur implantation constitue une faiblesse, selon une étude de Bpifrance le Lab. Celle-ci dresse le portrait parfois surprenant de ces entrepreneurs peu connus.
Qui sont-ils ? Bpifrance Le Lab, laboratoire d'études de la banque publique d'investissement, a présenté les résultats d'une étude consacrée aux « chefs d'entreprises rurales », le 16 décembre, à Paris. Premier constat, 28% des entreprises en France sont situées dans une commune rurale, une proportion cohérente avec la répartition de la population sur le territoire. Mais pour le reste, ces sociétés présentent plusieurs spécificités. « Ce sont des entreprises souvent plus petites que dans les territoires urbains », précise Bao-Tran Nguyen, responsable du pôle études à Bpifrance Le lab. Autre particularité, leur champ d'activité : 28% d’entre elles sont actives dans l'industrie, contre 7% au niveau national, 23% œuvrent dans la construction ( contre14% ) et 14% dans le commerce (vs 18%).
Pour Bao-Tran Nguyen, les réponses des entrepreneurs interrogés constituent un « pied de nez au discours misérabiliste » sur la ruralité. Ils ne sont en effet que 10% à estimer que leur localisation constitue une « faiblesse », même si plus de la moitié considère que la vie économique de leur territoire stagne, voire décline ( 21%). Les principaux freins ? Le recrutement ( 65% des sondés). « C'est beaucoup plus que la moyenne française qui est de l'ordre de 40% », commente Bao-Tran Nguyen. Autre freins : des débouchés limités ( 35%) ou encore l'accès limité aux infrastructures de transport ( 18%). Côté avantages, les entrepreneurs évoquent la fiabilité de la main d’œuvre ( 37%) ou la disponibilité du foncier (26%) . « Il existe un compromis rural. On a intériorisé les contraintes et on vit avec. (…) L'équation des entrepreneurs en milieu rural n'est pas forcément stratégique, mais relève plutôt d'un terrain plus personnel et affectif », analyse la responsable.
Les « réinstallés », et les « tacticiens »
Point saillant relevé par l'étude, les trois quarts des dirigeants d'entreprises en milieu rural ont des attaches personnelles avec le territoire et 63% d'entre eux en sont originaires. Sur cette base, les analystes ont élaboré trois profils types d'entrepreneurs. Le premier, majoritaire (43%) est celui des « enracinés », décrit par Thomas Bastin, responsable d'études à Bpifrance Le lab : « Ils héritent de leur territoire comme ils héritent en général de leurs entreprises ». Ces dernières sont parmi les plus petites, souvent actives dans la construction, l'industrie, le transport et la logistique. Elles travaillent plutôt avec des clients et fournisseurs situés en général à moins de 50 km. Ces entrepreneurs au bagage académique limité contribuent à la vie locale en menant par exemple des opérations de sponsoring.
Deuxième profil, les « réinstallés » (20%) . « Ils ont une volonté consciente de revenir là où ils ont grandi pour contribuer à dynamiser le tissu économique local », commente Thomas Bastin. Plus diplômés que les « enracinés », les « réinstallés » sont à la tête d'entreprises plus grandes, actives dans un plus grand nombre de secteurs (construction, industrie, hébergement, et restauration , commerce ...). Ces entrepreneurs sont ceux qui s'engagent le plus dans la vie locale, via des associations ou l'accueil de stagiaires. Leur modèle économique combine ancrage local et ouverture régionale.
La troisième catégorie, celle des « tacticiens » (20%) est la seule à n'avoir aucun lien préalable avec le territoire où ils arrivent par « opportunité économique », précise Thomas Bastin. Plus diplômés que les autres, ils sont à la tête d'entreprises plus importantes, souvent dans l'industrie. Ils travaillent peu avec des clients locaux et leur engagement territorial est « modéré ».
Solidarité en cas de « coup dur »
L'étude identifie une autre tendance importante : la forte intégration des dirigeants dans le tissu local. Ainsi, « sept dirigeants sur 10 estiment avoir une responsabilité territoriale (…) Ils nous disent qu'ils ne peuvent pas se contenter d'être des chefs d'entreprises », explique Bao-Tran Nguyen. Concrètement, plus de 8 sur dix ( 84%) d'entre eux accueillent des stagiaires ou des apprentis issus d'établissements locaux. Ils sont presque aussi nombreux à sponsoriser associations, projets locaux, clubs de foot... Et 37% soutiennent des initiatives écologiques.
Par ailleurs, « L'engagement personnel du dirigeant constitue une autre facette de cet engagement ». Ainsi, 28% des dirigeants interrogés sont aussi gérant d'une autre entreprise, 26% membres d'une association non professionnelle et 6% détiennent un mandat politique local. Cette intégration dans le tissu local aurait-elle pour corollaire un effet bénéfique ? En tout cas, il est de fait que 28% seulement des dirigeants dans les territoires ruraux déclarent se sentir isolés, contre 45% au niveau national (d'après une étude Bpifrance de 2016). Seule une petite minorité déclare nourrir de mauvaises relations avec les habitants de leurs territoire ( 9%), les entreprises voisines ( 10%) ou encore les élus locaux ( 3%). Et selon ces dirigeants, les gestes de solidarité – plus ponctuels que structurants - ne manquent pas : 36% évoquent la solidarité en cas de « coup dur », 35% la participation à une organisation patronale, 10% une mutualisation de moyens (locaux, machines ) ou des projets stratégiques communs (8%).
Au delà de ce constat général, prévient Bpifrance Le Lab, les territoires ruraux recouvrent des réalités très différentes. Selon leur densité, leur plus ou moins grande proximité avec des « aires d'attraction urbaines », des paramètres culturels et géographiques, ils abritent des fortunes et modèles économiques divers. Ainsi, 73% des entrepreneurs du département des Landes et de l’Aveyron perçoivent la ruralité comme une force, contre seulement 19 % dans l’Aisne et l’Oise.