Entretien avec Etienne Veraecke, directeur général d'Eurasanté

«Nos entreprises de healthtech sont de vraies réussites»

Toujours aussi dynamique avec 1 100 entreprises, la filière nutrition-santé régionale affiche une croissance de son chiffre d'affaires consolidé de l'ordre de 5%. Néanmoins, l'accès plus long et plus compliqué aux financements rend le contexte moins favorable au soutien de projets. Etienne Vervaecke, directeur général du GIE1 Eurasanté, dresse pour La Gazette un panorama général.

"L'accès aux financements reste très compliqué pour les entreprises innovantes" s'inquiète Etienne Vervaecke, directeur du GIE Eurasanté. ©Bambam Production
"L'accès aux financements reste très compliqué pour les entreprises innovantes" s'inquiète Etienne Vervaecke, directeur du GIE Eurasanté. ©Bambam Production

Comment ressentez-vous l'état de la filière santé régionale ?

La tendance est clairement à la hausse, tant au niveau du chiffre d'affaires (+5%) que des effectifs. Aujourd'hui, la filière santé/nutrition régionale compte 1 100 entreprises pour 32 500 salariés. 2024 a été une année où se sont confirmées une bonne partie des mises en oeuvre des projets d'investissement annoncés dans les mois et années précédentes. Je pense par exemple à la mise en service du site de production de LFB à Arras (production d'immunoglobulines, d'albumine, de fibrinogène, ndlr) mais aussi à l'accélération des travaux sur le futur site Lesaffre, à Denain, destiné à la production du chondroïtine sulfate, pour soulager les douleurs articulaires, comme l'arthrose par exemple ; avec à la clé, entre 100 et 150 emplois pour un démarrage de production prévu en 2026.

Dans quelle dynamique se trouvent les différents secteurs d'activité qui composent la filière ?

En ce qui concerne le segment des dispositifs médicaux, il y a un mouvement de renforcement progressif. Je peux vous citer les opérations de croissance externe d'Intech Medical (Rang-du-Fliers), de Cousin Surgery (Wervicq-Sud), de Macopharma (Mouvaux) ou encore la croissance à deux chiffres de Diagast (Loos). Même constat du côté de la pharma, plutôt orientée vers les start-ups et l'économie de l'innovation : 2024 a été l'année où le site de GSK à Saint-Amand a dépassé le seuil symbolique des 1 000 salariés. Il y a une belle dynamique sur le versant des activités de cette filière.

Pour autant, on parle beaucoup de défaillances d'entreprises et d'activités innovantes en berne. Est-ce aussi le cas pour la filière santé/nutrition ?

Nous n'avons pas remarqué davantage de sinistralité et on a recensé un nombre de dépôts de bilan très contenu. En revanche, et c'est très inquiétant, la tendance amorcée en 2023 s'est amplifiée : l'accès aux financements reste compliqué. Cela risque de ne pas aller mieux en 2025 ni même avant mi-2026. Avec le recul, heureusement que nous avons pris l'initiative de lancer en 2019 le fonds d'investissement Captech Santé Nutrition, géré par Finorpa Gestion et qui intervient dans les phases précoces de développement des projets en biotechnologies et santé. Sans lui, on aurait sans doute eu moins de trajectoires de développement de belles entreprises aussi ambitieuses que ce qu'on a pu soutenir courant 2023-2024.

C'est une tendance de fonds : les temps nécessaires pour lever des capitaux se sont clairement allongés pour l'ensemble des secteurs d'activité.

Le temps moyen pour booker un tour de table de financement de série A, qui était de l'ordre de 8 à 9 mois en 2023, est monté à quasiment 20 mois en 2024. Il y a, sur ce sujet, une vraie problématique qui rend la présence de fonds sur notre territoire de plus en plus cruciale et utile. On le sait très bien, le carburant des entreprises innovantes, c'est essentiellement des disponibilités de fonds propres et de capitaux.

Pensez-vous que que cet allongement de l'accès aux financements freine la création d'entreprises ?

Il y a un léger tassement de projets candidats à l'entrée de nos incubateurs, de l'ordre de 10%, mais cela reste marginal en comparaison aux années précédentes, très productives. Dans notre bio-incubateur, on a agréé une cinquantaine de projets en 2024. On continue de déployer nos solutions d'accompagnement collectif dans le cadre de notre programme Start pour les projets qui en sont au stade d'émergence. Mais pour les projets accompagnés à titre individuel, cela va être plus compliqué...

Cela veut dire que vous allez devoir refuser des projets ?

On va clairement être plus sélectifs : nous sommes en train de procéder à une revue de porte-feuilles : on va proposer d'interrompre les programmes d'incubation pour environ 20% de notre total de projets.

Pourquoi ? 

Dans un contexte compliqué d'accès au financement, on ne voudrait pas multiplier les désillusions et les échecs mais au contraire, concentrer nos moyens sur la part des projets pour lesquels on pense, qu'à terme, les chances soient réelles. C'est important d'avoir cette posture et ce discours de vérité et de responsabilité vis-à-vis des entrepreneurs. Car l'allongement des temps nécessaires à la conclusion des tours de table, s'applique aussi aux bons et aux excellents projets... Je pense par exemple à Hemerion Therapeutics qui a enfin bouclé un tour de table de 5 millions d'euros, là où le plan initial était d'aller chercher 17 millions d'euros...

Il y a aussi des nouvelles qui méritent d'être soulignées et qui font de nos entreprises de healthtech, de vraies réussites de la communauté nationale : c'est par exemple le cas de Genfit, qui, avec une opération d'actualisation de revenus de licence, s'est donné un horizon de trésorerie jusqu'en 2027. Ou d'Alzprotect qui a obtenu la confirmation d'un financement institutionnel américain de 25 millions d'euros pour financer l'essai de phase IIB de son candidat médicament dans le domaine de la PSP (Paralysie Supranucléaire Progressive). Et soyons honnêtes, des biotech européennes qui peuvent obtenir des financements institutionnels américains, ça se compte sur les doigts d'une main !

À combien s'élèvent les levées de fonds pour la filière ?

Les entreprises ont levé 37 millions d'euros en 2024. Néanmoins, les opérations en pré-amorçage ou en amorçage ne représente que 10 à 15% de la totalité des fonds levés, ce qui montre bien l'apprêté de cette situation quant à l'accès au capital investissement aux stades initiaux pour nos entreprises de healthtech. Mais c'est surtout une situation mondiale et cela s'exprime dans toutes les filières d'innovation.

Il est critique et important que l'État, qui a pu se doter d'un Fonds National d'Amorçage (FNA) il y a quelques années, le réabonde pour pouvoir redonner de la tonicité aux segments du capital investissement. Beaucoup d'outils vont arriver en fin de cycle. Heureusement en Hauts-de-France, nous avons la chance d'être très bien lotis en fonds d'investissement.

Au-delà d'Eurasanté, il y a également Eurasenior à Arras, Euralimentaire à Lomme ou encore Vivalley à Liévin. Comment se portent ces incubateurs ?

D'un point de vue général, la proportion de projets relevant de la santé numérique a dépassé cette année les 50%, c'est vraiment devenu un sujet majeur. À Arras, dans notre incubateur dédié à la silver economy, on accompagne une trentaine de projets. Il trouve son public. Euralimentaire compte environ 50 projets et Vivalley, entre 20 et 25. L'intérêt de la filière santé, c'est qu'on la retrouve sur l'ensemble du territoire régional.

On parle souvent de rapprocher la recherche académique du monde de l'entreprise. Quelles actions menez-vous en ce sens ?

Déjà, il faut rappeler qu'Eurasanté est une filiale du CHU de Lille donc nos liens sont aussi étroits qu'organiques ! Nous sommes également très proches de l'Université de Lille, d'Artois, de l'Institut Pasteur de Lille, du CHU d'Amiens, de l'université des Technologies de Compiègne ou encore d'UniLaSalle à Beauvais. Les partenariats de recherche et d'innovation associant le milieu académique et industriel ont toujours été au centre de nos préoccupations. Nous avons donc un lien fort avec la recherche académique, à la fois dans l'idée de faire émerger des collaborations de R&D mais aussi pour détecter des projets de collaborations innovantes.

1. Groupement d'Intérêt Economique


La filière santé-nutrition régionale

Troisième place à l'échelle française (après l'Ile-de-France et Auvergne-Rhône-Alpes)

13,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires

Le parc Eurasanté : 170 000 m2

95% de PME, 4% d'ETI et 1% de grands groupes