Entretien avec Laurent Devulder, nouveau directeur du port de Boulogne-Calais
Le 28 février dernier, Laurent Devulder a pris la suite de Benoît Rochet au poste de directeur général du port de Boulogne-Calais. Dans l'entretien qu'il nous a accordé, il évoque la situation et les perspectives de développement des deux structures.

Vous êtes le directeur général du port de Calais-Boulogne depuis quelques semaines. Quel est votre parcours ?
Laurent Devulder. En termes de carrière, je suis plus proche de la fin que du début. J’ai commencé à travailler dans le BTP, au sein de Bouygues et Norpac, sa filiale à Villeneuve-d’Ascq. J’ai été contrôleur de gestion, de contrats, des chantiers. C’était l’époque des grands chantiers des A16 et A26, de la Gare TGV de Lille. Cela a duré sept ans. J’ai eu ensuite une expérience de trois ans dans une société d’avitaillement, France Marine Chandlers, dans le dunkerquois. J’étais directeur administratif et financier. J’ai rejoint le port de Calais fin 2000 pour une mission de mise en place de l’organisation des achats, du contrôle de gestion, de la réorganisation de la commande publique. Cela a coïncidé avec l’arrivée de Jean-Marc Puissesseau et de Patrick Fourgeaud en 2002.
Quelles ont alors été vos missions ?
J’ai monté une équipe et lancé les études de développement portuaire ainsi que les études sur le ferroviaire, qui est arrivé fin 2010. J'ai également travaillé sur le projet-phare Calais Port 2015. Je me suis occupé, notamment, de la partie définition technique, puis du débat public en 2009-2010. Enfin, avec des bureaux d'études, nous avons travaillé sur la délégation de service public avec la Région, signée en 2015. Je suis alors directeur technique et directeur général de la SPD, société sœur de la SEPD qui exploite le port, jusqu’en 2017. C’est l’époque du chantier, de la livraison, de la réception… En 2023, Benoît Rochet m’a proposé de rejoindre l‘équipe de la concession pour m’occuper de l’aménagement, des projets et de la partie informatique.
Comment s’est passée votre prise de poste suite au départ de Benoit Rochet ?
Ce n'est pas un big bang, cela faisait un an que j’étais directeur général adjoint. Et puis, cela faisait partie du package lors de mon embauche, je m’engageais à prendre la suite. Il y a de nouvelles attributions, de nouvelles fonctions, plus de relations sociales, plus de relations institutionnelles et publiques... Je supervise les sujets que nous avions démarré en 2024 en termes de développement. C’est assez progressif.
Quelle est la situation du port aujourd’hui ?
2024 a été une année solide, même si sa fin est moins performante. Il y a deux composantes : Boulogne-sur-Mer et Calais. Les contextes économiques qui les affectent ne sont pas les mêmes. En dépit d’une situation de la pêche tendue au niveau international, Boulogne-sur-Mer a très bien performé, tant en tonnages qu’en valeur. Il y a eu beaucoup activités foncières chez Capécure, cela représente 300 millions d’investissements. À Calais, 2024 avait très bien commencé, sauf en fret sur la fin. Nous avons pris des parts de marché à des niveaux jamais atteints jusque-là. La Grande-Bretagne va mieux mais on est encore assez loin des années d’avant le Brexit. Le début de cette année est dans la continuité de la fin 2024 : un tourisme correctement orienté, notamment avec des voyageurs britanniques, une activité fret qui reflète le climat international, pas très dynamique. Le ferroviaire démarre très bien. CargoBeamer nous annonce passer de quatre à huit trains par semaine. VIIA est aussi en progression, il y a une dynamique sur la demande.
Quelles perspectives s’ouvrent à vous ?
Globalement, nous serons toujours sur des proportions où le fret est de l’ordre de 5 à 10%. Cela représentera probablement 50 000 unités en 2025. Mais il y a encore de la capacité sur des installations actuelles. Nous commençons à réfléchir à les augmenter en parallèle de l'électrification des ferries. Nous travaillons aussi sur des projets visant à augmenter le ferroutage. L’objectif est d’aller vers 100 000 unités traités par an, soit un doublement du volume.
Quels sont les autres cibles dans le développement du port ?
C’est l’électrification pour les ferries qui est la partie la plus dimensionnante. Nous avons ainsi signé avec RTE une convention de raccordement en haute tension d’ici 2030. Cette convention prévoit un raccordement de la ZI des Dunes, assez proche du port, avec un cheminement plus ou moins identique à celui de la ligne actuelle et qui souffre peu d’aléas environnementaux. Nous n'avons pas d’inquiétudes sur la faisabilité. Ensuite, ce sont des gros travaux dans le site portuaire avec la transformation des 90 000 volts acheminés selon des caractéristiques encore à définir.
P&O a déjà des navires électrifiés hybrides. La partie propulsion est, dans un certain voltage, adapté. De son côté, DFDS réfléchit à la conception de ces navires dont la livraison est prévue entre 2030 et 2035. D'autres choix seront peut-être faits en termes d’intensité et de puissance. Mais nous devons servir les deux. Demain, il faudra aussi prendre en compte Irish Ferries, quand il se décidera à franchir le pas.
Ce qui est dimensionnant, c’est, d’une part, la vitesse de mise en œuvre des nouveaux navires et, d'autre part, l’ingénierie de notre côté. Comme nous sommes bien en amont, nous travaillons avec Douvres et Dunkerque pour avoir un maximum de compatibilité et d’inter-opérabilité. Il faut bien comprendre qu'il s'agit de puissances électriques hors du commun, avec un bouton ON-OFF que l'on déclenche plusieurs fois par jour. Aujourd’hui, nous travaillons en commun avec les trois ports et les compagnies maritimes à définir un standard d’ici 2030.
Les grandes phases d’investissement sont-elles terminées ?
Nous avons un plan pluriannuel qui est en cours. Il y en aura un nouveau ensuite. Nous avons des travaux à Boulogne-sur-Mer, coordonnés avec la Région et l’agglomération pour cofinancer les infrastructures pour l’ensemble des acteurs. À Calais, dans les cinq ans, l’investissement se fera sur les ferries et la transition écologique. Il continuera selon les capacités de la SEPD et des priorités estimées de manière collective.
Quel est aujourd’hui l’impact migratoire sur les activités des ports ?
Il n’y a aucun signe d’aggravation
ou de hausse de la pression migratoire sur le port. Il y a très peu de
tentatives et le niveau de sécurisation est très élevé. Les réseaux très
organisés n’envisagent plus de passer par le port. La problématique s’est reportée
sur des passages plus risqués. Nous faisons le maximum avec les services de
sauvetage. Même si les Anglais ont cofinancé en bonne partie des
investissements, nous avons quand même des centaines de personnes affectées aux
taches de sûreté… à la charge du concessionnaire. Et cela plombe un peu la
compétitivité. Mais si cela n'est pas indolore, c’est efficace.
Chiffres
2024
93 M€ : ventes à la criée de Boulogne-sur-Mer
7,6 millions de passagers au port de Calais
1,8 million d’unités : le trafic de fret