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Rafraîchir la ville, mode d’emploi

Face aux températures toujours plus élevées qui menacent la population urbaine, les collectivités protègent leurs bâtiments et aménagent leur espace public, quitte à se copier les unes les autres.

Rafraîchir la ville, mode d’emploi

Ca chauffe. Le printemps 2025, de mars à mai, était le troisième plus chaud des XXème et XXIème siècles en France, après ceux de 2011 et 2020. Les températures ont dépassé de 1,1 degré les moyennes, calculées depuis 1900. Le nord du pays connaît un déficit important en pluies. Si le réchauffement climatique modifie en profondeur la nature et bouleverse la vie des agriculteurs, ses conséquences sont également dangereuses pour la population urbaine.

La plupart des métropoles aménagent désormais des îlots de fraîcheur, parcs ou bords de rivières, pour aider leurs habitants à résister aux canicules. Dans les villes plus petites, il faut parfois un événement exceptionnel pour convaincre les autorités, comme l’a montré un webinaire organisé le 3 juin par la Fabrique de la cité, une structure dépendant du groupe Vinci. A la mi-juin 2022, Cuers (Var), une ville de 13 000 habitants dans la lointaine périphérie de Toulon, a fait l’objet d’« un battage médiatique », affirme Jean-Jacques Roux, le directeur général des services (DGS), car le thermomètre avait grimpé jusqu’à 38 degrés. Au sol, devant le collège, la température atteignait les 61 degrés.

« Qu’est-ce qu’on va leur dire ? » se sont interrogés les élus face à l’intérêt des chaînes d’information pour ces records, si tôt dans la saison. Jusque-là, même si « des jeux d’enfants situés en plein soleil étaient inutilisables pendant quatre mois de l’année », et que « l’eau commence à manquer », la question climatique n’avait visiblement pas été approfondie. « Nous sommes habitués aux fortes chaleurs », module Jean-Jacques Roux, avant de reconnaître qu’après un tel épisode, il « devenait vain et stérile de discuter de la faute du réchauffement, causé par l’homme ou pas ». Rattrapées par la réalité, les autorités ont bien dû constater que les canicules, concentrées jusque-là en juillet et en août, se produisent désormais dès juin et jusqu’en septembre, « des mois de pleine activité économique et publique ». La ville a alors lancé un « schéma directeur », visant à couvrir les rues d’ombrières et de pergolas, modifier les revêtements des trottoirs et chaussées, ou entourer les bâtiments publics de pleine terre.

Des solutions pas toujours concluantes

Cuers, avec 6 500 habitants en 1982 et 13 000 en 2022, fait partie de ces communes où la rapide artificialisation accroît le risque de dôme de chaleur urbain. « Plus une ville est minérale, plus elle est chaude », observe Anne Ruas, géographe spécialiste du climat urbain et de l’artificialisation. Ainsi, en Ile-de-France, le risque de surchauffe diffère grandement d’une commune à l’autre, en fonction de sa densité et de la proximité de Paris. Mais le processus d’extension des zones urbaines augmente la probabilité des canicules dangereuses, explique la chercheuse. En absence de plan local d’urbanisme limitant l’artificialisation, « les promoteurs vont continuer à construire », comme ils le font à Castelnau-le-Lez, près de Montpellier, déplore Anne Ruas.

L’Agence de la transition écologique (Ademe) a développé un outil pour aider les collectivités à limiter les conséquences du réchauffement. La plateforme « Plus fraîche ma ville » est un service gratuit destiné aux élus et aux agents des collectivités, explique Tanguy de Ferrières, qui est responsable de son déploiement. En quelques clics, l’outil calcule la faisabilité et le coût d’une opération consistant à rafraîchir un lieu public, place, boulevard ou aire de jeux. Sur l’écran, la pose de végétation ou de fontaines, un changement de revêtement sont testés, des produits comparés. Les « retours d’expérience » des collectivités ayant opté pour les mêmes équipements sont disponibles. Le site renvoie directement aux structures proposant des financements et aux démarches à entreprendre. « Plus fraîche ma ville » détaille même les « éléments de langage qui permettent de convaincre les riverains ou, pour les agents, d’embarquer les élus », explique Tanguy de Ferrières.

La simplicité du processus laisse toutefois planer un certain malaise. A lire ce mode d’emploi, sorte de « rafraîchissement urbain pour les nuls », on comprend mieux pourquoi les villes finissent par toutes se ressembler, dotées des mêmes équipements, du même mobilier urbain, d’un aménagement comparable. Au cours du webinaire, le responsable de l’Ademe choisit, comme exemple d’action à mener, la « désimperméabilisation d’une place de marché ». Il s’agit d’enlever le bitume sur une place qui pourtant, une ou deux fois par semaine, accueille un marché forain. Cette occupation temporaire et récurrente par des commerces ambulants semble avoir échappé au spécialiste. Or, un revêtement en terre battue se transforme en boue les jours de pluie et en poussière quand il vente. Intenable pour le marché et ses commerçants.

Jean-Jacques Roux, à Cuers, confirme que les solutions des consultants extérieurs ne sont pas toujours adaptées. La ville utilisait massivement, pour ses sols, « l’enrobé noir, le moins cher et le plus répandu », explique le DGS. Les services hésitaient à choisir un enrobé ocre, qui, absorbant moins la chaleur, se traduirait par une différence de 15 degrés au sol, mais « pour un coût deux à trois fois supérieur ». Toutefois, les retours d’expérience ne se sont pas révélés concluants : « l’ocre s’encrasse rapidement à cause du frottement des pneus, tandis que le noir s’éclaircit au fil du temps, et au bout de quelques années, la différence se limite à 4 degrés », raconte le responsable qui précise : « nous avons abandonné l’enrobé ocre, sauf pour le trottoir ».