Vertueux, le réemploi peine à trouver son modèle économique
Bénéfique pour l'économie locale et pour l'environnement, le réemploi ne pourra décoller sans un accompagnement public qui lui permettrait d'atteindre la taille critique nécessaire à sa rentabilité, selon une table ronde tenue récemment sur le salon Reuse economy expo.

Tout, sauf anecdotique. Le 27 mai, à Vincennes, dans le cadre du salon Reuse economy expo (Réemploi, réutilisation, réparation, reconditionnement, remanufacturing), une table ronde était consacrée au "Le réemploi : un levier fondamental pour l’économie de nos territoires". Le réemploi offre un «triple dividende, environnemental, territorial et écologique», commente Lohengrine Schulz, directrice du programme "Économie Circulaire" au SGPE, Secrétariat général à la planification écologique, rattaché au Premier ministre. Selon elle, le réemploi constitue un «levier structurant» dans cette transition. Côté écologie, « il va permettre de réduire la consommation de matière, d'énergie et la production de déchets ». Sur le plan économique, de « relocaliser emplois et activités locales ». Et aussi «le réemploi permet de réduire la dépendance d'approvisionnement des chaînes de valeur internationales», ajoute Lohengrine Schulz. Exemple des bénéfices apportés par le réemploi : la comparaison entre l'impact de l'achat d'un lave-linge neuf – nécessairement importé- et un acte de réparation, reconditionnement et revente d'une machine déjà utilisée. Dans le premier cas, «la seule valeur ajoutée réside dans la marge des distributeurs, de l'ordre de 30%, soit une centaine d'euros. S'il y a réparation et reconditionnement, cela triple la valeur ajoutée avec de l'activité locale, des emploi », explique Lohengrine Schulz.
Si la pratique du réemploi demeure limitée en France, des entreprises s'y adonnent à l'image d'Ikea, spécialiste de l'ameublement, qui maîtrise « l'ensemble de la chaîne de fabrication, de la conception à la mise sur le marché », précise Émilie Carpels, directrice sustainability de l'entreprise. Celle-ci éco-conçoit ses produits, en intégrant de la matière première recyclée dans leur fabrication. Exemple particulièrement vertueux : l'ouverture d'un centre de recyclage de matelas en Aveyron pour récupérer la mousse et la réintégrer dans la chaîne de fabrication des matelas de la marque. La société a aussi revu la conception de ses produits pour augmenter leur durée de vie. Autre volet d'action : depuis 2014, Ikea rachète des meubles à ses clients et leur revend. « Il y a un vrai engouement sur la seconde vie. Le chiffre d'affaires a augmenté 6% entre 2023 et 2024 », constate Émilie Carpels.
Côté collectivités, la Région Île-de-France fait partie de celles qui se sont engagées dans le réemploi. Le territoire constitue une « mine urbaine », dont la matière première déjà présente doit être utilisée, estime Yann Wehrling, vice-président de la Région, délégué à la Transition écologique. Parmi les actions qu'elle mène, la collectivité soutient de jeunes entreprises du secteur, dont une société de lavage des contenants réutilisables (comme des bouteilles de lait ou des boites pour contenir des déjeuners). « Il s'agit d'échelons indispensables. Il faut aider ces entreprises pour permettre à d'autres de faire de la réutilisation », explique Yann Wehrling.
«Assumer politiquement ce changement de paradigme économique»
Riche en vertus théoriques, le réemploi se heurte dans la pratique à de nombreux et divers obstacles. Et les objectifs qui avaient été fixés par la loi AGEC, Anti-gaspillage pour une économie circulaire, n'ont pas été remplis. Seuls 2,2% des emballages étaient réemployés, en 2023, alors que l'objectif était de 5%, selon l'Ademe, l'Agence de la Transition écologique. En fait, c'est tout un écosystème qu'il faut bâtir. Par exemple, « pour faire du réemploi, il faut réparer, et donc, il faut des pièces détachées et cela pose la question de leur normalisation (…) Tout cela doit être approfondi », détaille Stéphane Delautrette, député, (Haute-Vienne PS), rapporteur de la loi qui fixe des objectifs en matière de réemploi.
Le SGPE, lui, travaille avec le ministère du Travail et celui de l'Enseignement sur les sujets compliqués des formations nécessaires et de l'attractivité des métiers manuels du réemploi. Sur le terrain, les pionniers se heurtent à de nombreux obstacles. Dont le foncier, enjeu complexe. Car le réemploi prend de la place. Il en faut pour les ateliers de réparation, les espaces de stockage pour les portes, fenêtres, et matériaux de construction qui peuvent avoir une deuxième vie .... «Pour le foncier, en Île-de-France, la tension est énorme, évidemment. Nous avons pris à bras le corps cette question, en identifiant le foncier disponible dans les communes pour pouvoir le mettre à disposition des acteurs qui en ont besoin. Et nous avons intégré le sujet du foncier pour l'économie circulaire dans le schéma directeur d'aménagement du territoire», témoigne Yann Wehrling.
Autre souci encore -probablement le principal- celui du modèle économique. «L'enjeu, dans le réemploi, que ce soit la récupération de matière ou la réutilisation, c'est de les industrialiser pour en faire baisser les coûts. Aujourd'hui, ce n'est pas rentable», ajoute Yann Wehrling. «Il y a encore des difficultés à trouver le modèle économique», confirme Stéphane Delautrette. Dans cette équation, les acheteurs publics ont un rôle à jouer. « Les collectivités locales pourraient acheter de manière plus systématique de la seconde main, du mobilier qui a déjà eu une vie, ou des ordinateurs », propose Yann Wehrling. En outre, pour Stéphane Delautrette, «les pouvoirs public ont un rôle à jouer en accompagnant cette massification. Mais dans les débats sur le projet de loi de Finances,(...) on s'entend dire que l’État n'a plus les moyens», se désole l'élu, dont la proposition d'une TVA circulaire n'a pas été retenue. Stéphane Delautrette va même plus loin : «le réemploi se développe plus dans les territoires urbains, mais il va falloir s'occuper de la ruralité. Cela soulève des questions de solidarité et de péréquation. Il faut assumer politiquement ce changement de paradigme économique. Ce n'est pas encore assez le cas».