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Antoine Le Garrec : «La mer est notre racine, la diversification notre avenir»

Antoine Le Garrec, directeur général de la division pêche et services du groupe Le Garrec, revient sur l’histoire, les mutations et les défis de cette entreprise boulonnaise bientôt centenaire.

Antoine Le Garrec, directeur général de la division pêche et services du groupe Le Garrec.
Antoine Le Garrec, directeur général de la division pêche et services du groupe Le Garrec.

Fondé en 1930 à Boulogne-sur-Mer, le groupe Le Garrec a construit son développement sur la pêche avant d’élargir son champ d’action à d’autres domaines, jusqu’à devenir un groupe familial multi-activités. Antoine Le Garrec, directeur général de la division Pêche et Services, représentant de la quatrième génération, revient pour nous sur l’histoire, les mutations et les défis de cette entreprise boulonnaise bientôt centenaire.

Votre groupe est né de la pêche. Pouvez-vous nous rappeler les débuts de cette aventure familiale ?

ALG. Tout commence avec Paul-Émile Le Garrec, mon arrière-grand-père. Il était pilote maritime à Boulogne-sur-Mer, après une carrière en tant que capitaine au long cours dans la marine marchande. Installé dans la région, il a fondé en 1930 l’armement Le Garrec & Cie pour subvenir aux besoins de sa famille nombreuse. À l’époque, la pêche était déjà un secteur économique important pour le port boulonnais. C’est ainsi que s’est amorcée notre histoire.

Comment le groupe a-t-il évolué depuis ses origines ?

Nous avons connu une croissance progressive, accompagnée d’une stratégie de diversification. Dans un premier temps, cela s’est traduit par des investissements dans des thoniers-senneur, pour aller pêcher dans l’océan Atlantique et dans l’océan Indien, depuis Concarneau en Bretagne. Puis, à mesure que la filière évoluait – notamment avec la généralisation de la congélation pour conserver le poisson dans les années 1950 – nous avons investi dans des entrepôts frigorifiques.

À partir de quand sont arrivés les services dans votre activité ?

Dans les années 1980. Un de mes oncles a lancé une entreprise de métrologie maritime. À l’origine, il s’agissait d’équiper les bateaux de pêche avec des compteurs volumétriques pour surveiller la consommation de carburant, dans un contexte de hausse des prix du pétrole. Puis, comprenant que pour les bateaux de pêche, le dernier nœud est le plus coûteux, il a ensuite développé des économètres. Au final, l’entreprise a grandi, jusqu’à couvrir l’ensemble de la chaîne : conception, fabrication, maintenance, et contrôle périodique. Dans les années 2000, nous avons eu la possibilité de reprendre les parts de ses associés et d’intégrer son groupe à l’entreprise familiale. C’est comme ça que Le Garrec & Cie a poursuivi sa diversification et que les deux premiers pôles sont nés : le pôle pêche et services et le pôle mesures.

Aujourd’hui, le groupe comprend une troisième activité : l’escalade. Quelle est l'histoire de cette diversification étonnante au premier abord ?

Effectivement ! Lors de l’arrivée de la quatrième génération, la mienne, chacun a développé un projet. L’un de mes cousins, passionné d’escalade, a ouvert une première salle d’escalade indoor. Le succès a été au rendez-vous et il a continué de développer ce projet. Nous avons donc structuré cette activité autour d’un pôle dédié.

Quel est le poids de la pêche aujourd’hui dans votre groupe ?

Elle représente environ 20 à 25% de notre chiffre d’affaires. Le pôle pêche et services compte 350 salariés pour 45 millions d’euros de chiffres d’affaires. Le groupe, quant à lui, représente 1 000 salariés pour 125 millions d’euros consolidés. La pêche n’est plus notre première activité en volume, mais elle reste centrale pour notre identité. La mer est notre racine. Contrairement aux prémices du groupe où la pêche de volume (lieu noir et thon) était le coeur de métier, aujourd’hui, nous avons fait le choix de nous positionner sur des espèces à forte valeur ajoutée et à pêche encadrée, comme la légine et la coquille Saint-Jacques.

Quels sont vos principaux sites d’exploitation ?

Nous sommes présents sur trois grands territoires. À Boulogne-sur-Mer, nous sommes actionnaires minoritaires de l’armement «Scopale», qui opère six bateaux, en partenariat avec Intermarché et la coopérative maritime Étaploise et nous avons repris l’entreprise Conegan. À Dieppe, nous exploitons 12 coquillards, et avons un atelier de transformation et un atelier de réparation de matériel de pêche. Cette saison, nous avons débarqué 1 800 tonnes de coquilles Saint-Jacques et transformé 2 500 tonnes – soit environ la moitié des débarquements du port. À La Réunion, nous exploitons un bateau de pêche, avec lequel nous débarquons un quota de 775 tonnes de légines, sur un total français de 5 500 tonnes. La France est leader mondial sur cette espèce durablement gérée.

Comment le groupe Le Garrec s’engage-t-il en faveur d’une pêche durable ?

Depuis plusieurs années, nous avons fait le choix stratégique de nous concentrer sur des espèces à haute valeur ajoutée, issues de pêcheries rigoureusement encadrées. C’est le cas de la légine, que nous pêchons dans les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) et de la coquille Saint-Jacques en Manche. Ces deux espèces font l’objet de suivis scientifiques précis et de quotas stricts. Cela nous permet de pêcher dans le respect des ressources et d’assurer leur pérennité.

Quelles actions concrètes avez-vous mises en place pour limiter votre impact sur l’environnement ?

Pour la légine, par exemple, nous avons énormément travaillé à réduire les captures accessoires, notamment les oiseaux marins. Nous avons changé nos pratiques : les lignes sont désormais filées de nuit, ce qui réduit considérablement les risques pour l’avifaune. Nous avons aussi restreint les zones de pêche en excluant celles où se trouvent les juvéniles et nous utilisons des engins moins impactants. Nous avons aussi mis en place un programme de recyclage des lignes de pêche.

Comment garantissez-vous la transparence et la conformité de vos pratiques ?

Sur nos navires, nous avons des observateurs embarqués. Ce sont des contrôleurs assermentés, en mesure de dresser des procès-verbaux en cas d’infraction. Ce contrôle externe garantit que nous respectons scrupuleusement la réglementation. De plus, nous travaillons en partenariat avec l’administration et les instituts scientifiques pour améliorer constamment nos pratiques. À Dieppe, nous collaborons étroitement avec le comité régional des pêches et l’Ifremer pour améliorer la gestion de la ressource. Là encore, il s’agit de quotas, de périodes d’ouverture très encadrées, et d’un vrai dialogue entre les professionnels et les scientifiques. L’objectif est que cette pêcherie soit également certifiée durable dans les prochaines années.

Vous défendez la pêche française. Comment menez-vous ce combat ?

Clairement. Aujourd’hui, la flotte française de pêche au large est en net recul, avec de plus en plus d’armements qui passent sous capitaux étrangers. Nous pensons qu’il faut défendre collectivement notre savoir-faire et notre souveraineté alimentaire. Plutôt que d’opposer petits et grands pêcheurs, il faudrait unir nos forces pour préserver notre filière. Chez nous, la pêche reste le métier de cœur, l’âme de l’entreprise. Nous voulons qu’elle soit durable, mais aussi française.

Quels sont les principaux défis à relever, et comment le projet Norfrigo s’inscrit-il dans votre stratégie pour y répondre ?

L’un des défis majeurs pour notre groupe est d’améliorer constamment notre efficacité énergétique. Que ce soit sur nos bateaux ou dans nos installations frigorifiques, la consommation d’énergie représente une part très importante de nos coûts et impacte directement notre empreinte carbone. Pour y répondre, nous investissons dans des technologies plus performantes, que ce soit pour optimiser les systèmes des moteurs de nos bateaux ou nos systèmes de stockage frigorifique. Nos projets Norfrigo s’inscrivent pleinement dans cette dynamique. 

Actuellement, nous construisons une glacière bord à quai, modernisant la fabrication de glace écaille indispensable à la conservation des produits de la mer. Nous passons d’une tour à un container, je vous laisse imaginer les économies grâce à cette technologie. Par ailleurs, nous développons un entrepôt frigorifique ultramoderne qui réunira en un seul lieu les trois entrepôts actuellement dispersés. Cette centralisation optimisera la gestion des stocks, améliorera la qualité de conservation des produits et renforcera notre logistique. 

Mais, surtout, nous réaliserons des économies et réduirons nos émissions de carbone. Au-delà de l’innovation technique et énergétique, nous sommes également confrontés au défi d’attirer des talents vers la filière pêche, souvent perçue comme dépassée. En effet, il y aura, dans les prochaines années, de nombreux départ à la retraite. Nous mettons en avant la dimension technologique, scientifique et durable de notre métier pour montrer qu’il s’agit d’un secteur d’avenir.

Quel message souhaitez-vous laisser en conclusion ?

Le Garrec est avant tout une histoire de famille et de passion. Alors que nous préparons le centenaire, notre priorité reste d’allier tradition et innovation, pour garantir un avenir durable à la pêche et à nos autres activités.

Garrec & Cie en chiffres

125 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2024 pour le groupe
45 millions d’euros de chiffre d'affaires annuel pour le pôle pêche et services
1 000 salariés travaillent au sein de Le Garrec & Cie
350 salariés au sein du Pôle pêche et services

Trois questions à Antoine Le Garrec

Une personnalité inspirante ?

La personne qui m’inspire le plus, c’est mon père. Et ce, que ce soit sur le plan entrepreneurial ou familial — puisque notre groupe est 100 % familial. Il a su relever un défi important : concilier les intérêts de toute la famille tout en alignant la stratégie familiale avec celle de l’entreprise. Ceux qui vivent cette expérience sur plusieurs générations savent à quel point cela peut être complexe. Mon père a réussi à créer cet équilibre, et j’espère pouvoir être à la hauteur pour continuer dans cette voie.

Un lieu favori ?

J’habite à Condette et tous les jours je viens à Boulogne-sur-Mer pour rejoindre les bureaux de la société. Quand on vient de Condette vers Boulogne, en traversant la forêt d’Écault, il y a un endroit où la vue sur Boulogne-sur-Mer est magnifique : on voit le beffroi, la cathédrale, la colonne Napoléon, et par temps clair, les côtes anglaises et le port. Je suis profondément attaché à Boulogne, et je crois que c’est pour cela que j’aime autant cette vue et que je m’investis beaucoup dans des associations et organismes locaux. La ville a une histoire incroyable, et j’ai de la chance d’être boulonnais.

Un conseil à un jeune dirigeant ?

Il faut rester passionné et ne pas hésiter à innover, tout en gardant la plus grande humilité. Parfois, une bonne idée ne réussit pas tout de suite parce que le moment n’est pas encore le bon. Il faut alors être tenace, car ce n’est pas parce qu’elle n’a pas marché au début qu’elle ne marchera pas plus tard.