Les pièges de la cession d'une entreprise

Cas concrets et décryptage d’experts en transmission d’entreprises

La démarche de cession d’une entreprise est souvent une aventure jalonnée d’obstacles inattendus. On commet des erreurs qui sont les meilleures leçons pour tirer des enseignements, faire progresser le processus de vente et, au final, réussir l’opération aux meilleurs conditions possibles. Aperçu de cas concrets et situations vécues par les experts de Francecession.

Une bonne transmission d’entreprise nécessite préparation et conseils d’experts aguerris pour instaurer la confiance dans la relation atypique de négociation entre des décideurs aux intérêts divergents.
Une bonne transmission d’entreprise nécessite préparation et conseils d’experts aguerris pour instaurer la confiance dans la relation atypique de négociation entre des décideurs aux intérêts divergents.

S’engager ou ne pas s’engager avec le premier repreneur rencontré !

Bertrand Cuir (cabinet Financière de Norway à Lille et Rouen) : «Dans nos activités, il n’est pas rare de croiser des chefs d’entreprise qui ont été en discussion de longs mois avec un premier repreneur et finalement n’ont débouché sur rien ! Souvent les discussions ont laissé un goût d’inachevé au dirigeant-cédant qui s’est ouvert et a ouvert son entreprise à son interlocuteur. Échec et retour à la case départ ! Pour trouver l’oiseau rare, le conseil en cession d’entreprise va être en relation avec de très nombreux candidats. Il est essentiel qu’il comprenne ce qu’anime le repreneur qu’il rencontre avant de lui donner accès, un peu plus tard dans le processus, au mémorandum de présentation de l’entreprise. La trame d’entretien que nous suivons nous aide à écarter les «soi-disant» repreneurs - et ils sont nombreux ! - avant d’identifier l’entreprise que nous accompagnons à la cession. Sans cela, ces faux repreneurs pourraient vous faire perdre un temps précieux sans jamais reprendre aucune entreprise !»


Vos salariés s’interrogent, vos clients s’inquiètent et vos concurrents savent que vous êtes à vendre

Arnaud Chenier (Exco Finances & Transactions à Montpellier) : «La confidentialité est un élément clé de la cession. La divulgation prématurée de votre intention de vendre peut nuire à votre entreprise en déstabilisant vos employés, vos clients et vos fournisseurs. Un processus de vente doit se dérouler dans un calendrier maîtrisé afin de réunir le maximum de marques d’intérêt dans un temps limité. L’engagement de confidentialité est un acte incontournable à faire signer avant toute discussion après la première entrée en relation mais ce document, si bien rédigé soit-il, n’empêche que très rarement les fuites d’informations. La seule manière efficace de lutter contre le manque de confidentialité est de pouvoir agir vite et d’éviter de discuter successivement avec les repreneurs que nous imaginerions bien reprendre. Pour les professionnels du conseil en cession, il s‘agit de commercialiser votre entreprise de manière ordonnée avec une préparation en amont de la documentation afin de répondre efficacement aux questions de tous les acquéreurs potentiels en même temps.»


Une valorisation d’entreprise réaliste

Sophie Bozic (cabinet Enjeux à Nantes) : «Il arrive assez souvent que le cédant souhaite vendre son entreprise à un prix supérieur au marché, car il aura reçu de l’un de ses conseils une estimation parfois étonnante et disons-le, surévaluée. Ceci génère déception, perte de temps et d’opportunités : le dossier est présenté aux acquéreurs potentiels, les offres d’achat - pourtant au «bon prix» - sont refusées et le temps s’écoule (bien souvent 6 à 9 mois) sans qu’un accord ait pu être trouvé. La déception du cédant est au rendez-vous tandis qu’il convient de reprendre la commercialisation. En cession d’entreprises comme en beaucoup de domaines, il est recommandé d’afficher un prix de marché, celui-ci devant être confirmé par la capacité de remboursement de l’entreprise dans des conditions d’apport traditionnels et normatifs.»


L’acquéreur demande une garantie d’actif passif de 100 % du prix de cession

Hervé Lefeuvre (cabinet HL Conseil à Nantes) : «L’avocat de l’acquéreur réclame une garantie d’actif passif portant sur 100 % du montant de la transaction. Il n’y a aucune raison pour le cédant d’accepter cette demande surréaliste, la GAP se situant généralement dans une fourchette de 10 à 30 % du montant de la cession. La garantie de la garantie se négocie souvent à la moitié de ce niveau avec une dégressivité sur 3 ans. Il est possible d’y associer un contrat d’assurance-vie en garantie à la place d’une caution bancaire à première demande qui engendre des frais de constitution et d’engagement.»

Le cédant n’est pas totalement transparent avec l’acquéreur

Jean Piedallu (cabinet J.P Conseil à Saint-Jean-de-Luz) : «Il est nécessaire que le cédant soit totalement transparent avec son éventuel repreneur, tant en exposant les faiblesses de la société qu’en révélant les litiges et problèmes, passés, actuels et éventuels. Tout d’abord, s’il est effectivement logique pour un cédant de mettre en avant les forces de son entreprise car c’est ce qui est vendu et ce qui intéresse en premier lieu un repreneur, il est également nécessaire d’en identifier les faiblesses et de les indiquer à un acquéreur ; en effet, celui-ci connaîtra alors le potentiel d’amélioration de la société et la valeur ajoutée qu’il apportera lors de la reprise. Ensuite, il faut être transparent sur les problèmes rencontrés par la société (litiges sociaux ou fiscaux, prud’hommes, baisse d’activité ou de rentabilité, difficultés de trésorerie…) car ils seront nécessairement connus du repreneur à un moment donné. Si ces problèmes sont identifiés à l’occasion de l’audit sans que le cédant en ait parlé précédemment, cela ne peut que briser le climat de confiance qui s’était instauré et aboutir à un échec de la transaction. Il peut également arriver que ces difficultés ne soient découvertes qu’après la cession ce qui engendre une mise en œuvre de la garantie de passif et d’actif et d’éventuels problèmes juridiques. Il est donc indispensable que rien ne soit laissé dans l’ombre et de tout dire à un acquéreur.»


Il faut s’assurer de la crédibilité des prétendants

Hervé de Mones (cabinet Compagnie financière du Buis à Paris) : «En préalable à toute conversation avec un candidat à l’acquisition de son entreprise, le dirigeant doit s’assurer de deux choses : que son interlocuteur ne fasse pas de tourisme, et que sa volonté d’aller au bout de l’opération soit réelle. Autrement dit qu’il ne «papillonne pas.» On observe trop souvent, notamment chez des personnes physiques des questionnements sans fin sur les caractéristiques de leur cible idéale, voire des hésitations, à la veille de la signature des actes définitifs, à se lancer dans le grand bain ; que les candidats à l’acquisition aient les moyens de leur ambition. Combien de fois a-t-on vu dans des «fiches de cadrage» qu’ils ont établies, la taille et en corollaire la valorisation des sociétés recherchées incompatibles avec le montant affiché de leur apport ? Le rôle du conseil du cédant est de s’assurer de la crédibilité des prétendants. Plusieurs entretiens sont sans doute nécessaires pour s’assurer de leur motivation. Le conseil doit alors jouer le rôle de chasseur de têtes. Il lui appartient de demander la preuve des liquidités disponibles et des capacités d’endettement.»


Statut quo commercial du cédant pendant la période d’exclusivité

Frédéric Portera (cabinet Stratégéo à Lyon) : «Le process de cession d’une entreprise est ponctué de nombreuses étapes qui rendent le projet souvent long. Après validation d’une offre de reprise, il n’est pas rare que l’importance du calendrier ne soit pas mesurée et que le cédant retarde ou diffère des contacts avec ses clients, dans un souci de confidentialité et pour s’éviter de parler des tractations en cours ou simplement parce qu’il pense qu’il ne sera plus décideur et que l’acquéreur n’a pas à assumer ses arbitrages… «vous verrez avec mon successeur» (engagement sur des appels d’offres, renégociations des tarifs, arrêts de certaines activités…). Le statut quo dans les relations commerciales peut avoir des conséquences lourdes. L’acquéreur qui découvre a postériori que des informations ou demandes commerciales non traitée peut faire valoir un manque à gagner et le cas échéant invoquer le dol.»


Il faut préparer l’entreprise à la cession

Philippe Dorier (cabinet IF Participations à Chalon-sur-Saône) : «Cette préparation est essentielle dans le processus de transmission. Il s’agit pour le cédant de réaliser un check-up économique, juridique, fiscal de son entreprise, et de mettre en œuvre les mesures correctrices qui s’avéreraient nécessaires. De manière non exhaustive, les contrôles porteront sur les points suivants : social : contrôle des contrats de travail et de la grille des rémunérations, application correcte de la convention collective, etc. ; juridique : contrôle des conventions intra-groupe et des conventions réglementées, contrôle des baux commerciaux, contrats commerciaux, brevets et licences, etc. ; fiscal : contrôle des bases et taux des impôts directs et indirects. Ces contrôles font partie des diligences mises en œuvre lors de l’arrêté des comptes. En réalisant ce check-up, le cédant et son conseil se faciliteront les négociations sur la valorisation et surtout les conditions de la GAP avec les candidats acquéreurs.»

Témoignages recueillis par Jean-Yves LESTRADE, conseil et rapprochement d’entreprise