Sauvegarder l'article
Identifiez vous, pour sauvegarder ce article et le consulter plus tard !

Droit

En matière de baux commerciaux, le silence contractuel ne protège pas : il expose

Le régime du plafonnement du loyer lors du renouvellement du bail commercial constitue l’un des piliers de la stabilité contractuelle du preneur. En encadrant légalement l’évolution du loyer par référence aux indices, le législateur a voulu garantir la pérennité des activités économiques installées et prévenir les effets déstabilisants d’un marché locatif trop volatil. Ce dispositif protecteur a toutefois pour contrepartie une relative rigidité, que le droit a cherché à compenser par des mécanismes d’ajustement.

(c) DR. Antoine BLOT, juriste - Cabinet Koezyo Avocats
(c) DR. Antoine BLOT, juriste - Cabinet Koezyo Avocats

Le déplafonnement, notamment lorsqu’un bail se prolonge au-delà de douze ans, redonne ainsi au bailleur la possibilité de retrouver la valeur locative réelle. Mais une telle revalorisation, souvent brutale, peut s’avérer économiquement insupportable pour le commerçant locataire. C’est pour en adoucir l’impact que la loi Pinel de 2014 a instauré le lissage du déplafonnement, permettant une montée progressive du loyer dans le temps.

Encore fallait-il savoir si ce dispositif pouvait s’appliquer dans tous les cas de déplafonnement. C’est à cette interrogation que la Cour de cassation apporte une réponse ferme dans son arrêt du 16 octobre 2025 (Cour de cassation, 3e civ., 16 octobre 2025, n° 23-23.834) :
le lissage ne concerne pas les baux simplement prolongés tacitement au-delà de douze ans.

Le rappel du cadre légal : plafonnement, déplafonnement et lissage

Lors du renouvellement du bail commercial, le nouveau loyer est en principe plafonné à la variation de l’indice des loyers commerciaux ou tertiaires. Ce mécanisme d’ordre public empêche toute dérive excessive et favorise la continuité de l’exploitation.

Cependant, le texte prévoit plusieurs cas où cette protection est écartée. Ainsi, si, à l’arrivée de son terme, les parties laissent le bail se poursuivre par tacite prolongation et que, de ce fait, la durée du bail dépasse douze ans à compter de son entrée en vigueur, le plafonnement tombe et le loyer est fixé à la valeur locative.

Pour éviter que cette situation ne conduise à une explosion des loyers, le législateur a prévu une exception : l’augmentation annuelle ne peut excéder 10 % du loyer précédent, à condition que le déplafonnement trouve sa source dans une modification notable des éléments de la valeur locative ou dans une clause contractuelle spécifique relative à la durée du bail.

La question posée à la Haute juridiction était donc de savoir si ce filet de sécurité que constitue le dispositif de lissage de l’augmentation du loyer en cas de déplafonnement pouvait bénéficier à un locataire qui, sans acte exprès, laissait son bail se poursuivre au-delà de douze ans.

Le cas d’espèce : la logique économique contre la lettre du texte

Une société locataire exploitant un commerce occupait des locaux soumis à un bail renouvelé puis prolongé tacitement au-delà de douze ans. Lors du nouveau renouvellement, le bailleur obtint la fixation du loyer à la valeur locative. Confrontée à une hausse considérable, la locataire demanda à bénéficier du lissage, estimant que les conséquences économiques étaient identiques à celles des autres formes de déplafonnement.

L’argument, fondé sur la finalité protectrice du texte, soulignait que le législateur avait cherché avant tout à éviter une hausse brutale compromettant la viabilité des entreprises.

Pour la locataire, peu importait la cause juridique du déplafonnement : le risque économique demeurait le même.

La cour d’appel d’Aix-en-Provence rejeta cette argumentation, considérant que le dernier alinéa de l’article L. 145-34 du Code de commerce n’était pas applicable dans le cas où le déplafonnement résulte d’un bail commercial dont la durée excède douze années du fait sa tacite prolongation.
La Cour de cassation confirme cette position et ferme définitivement la porte à toute extension du lissage aux baux prolongés tacitement.

La portée strictement encadrée du lissage

La Cour rappelle que le dernier alinéa de l’article L. 145-34 du Code de commerce vise exclusivement deux situations : la modification notable des éléments de la valeur locative ou la dérogation contractuelle à la durée légale. Le cas du bail simplement prolongé tacitement ne relève d’aucune de ces catégories.

En refusant toute extension du champ d’application du lissage, la Cour adopte une interprétation littérale du texte. Elle refuse de faire primer la logique économique sur la lettre de la loi. Cette position, déjà esquissée dans des avis et arrêts antérieurs, s’inscrit dans une jurisprudence désormais cohérente : le mécanisme du lissage demeure une exception d’interprétation stricte, non un principe général de modération des loyers.

Le message est clair : la tacite prolongation constitue une situation subie, non négociée, et ne peut produire les effets protecteurs attachés à un accord exprès des parties. Le locataire qui laisse courir son bail au-delà de douze ans assume les risques économiques qui en découlent.

Conclusion : vigilance impérative pour les preneurs commerciaux

L’arrêt du 16 octobre 2025 doit être compris comme un avertissement. La tacite prolongation, souvent perçue comme une commodité, n’est pas une neutralité contractuelle : c’est un événement juridique générateur de conséquences lourdes. Elle expose le locataire à un déplafonnement immédiat et à une hausse intégrale du loyer sans possibilité de l’étaler dans le temps.

Les locataires commerciaux doivent intégrer cette contrainte dans leur stratégie : il leur appartient d’anticiper en provoquant, avant la douzième année, un renouvellement formel du bail ou à renégocier ses conditions. La vigilance contractuelle est ici une véritable mesure de protection économique. La gestion prudente du calendrier contractuel devient ainsi un véritable instrument de maîtrise des coûts.

En matière de baux commerciaux, la jurisprudence rappelle que le silence peut se révéler redoutablement coûteux.

Par Antoine BLOT, juriste - Cabinet Koezyo Avocats