Finances

L'Aisne en appelle à l'État

Comme un électrochoc et un appel envers l’État, le Département de l'Aisne a voté un budget 2024 insincère qui autrement serait en déficit de 22,5 millions d'euros. Il s'agit d'un « acte fort » selon son président Nicolas Fricoteaux qui entend appeler les responsables nationaux à une réforme du financement des Départements et à une compensation du reste à charge des allocations individuelles de solidarité (AIS) dont l'APA (Allocation personnalisée d'autonomie) et la PCH (Prestation de compensation de l'handicap).

La majorité départementale de Nicolas Fricoteaux (au centre) a voté un budget 2024 qui n'est pas réellement équilibré, une façon d'alerter les responsables nationaux sur la situation difficile des départements ruraux.
La majorité départementale de Nicolas Fricoteaux (au centre) a voté un budget 2024 qui n'est pas réellement équilibré, une façon d'alerter les responsables nationaux sur la situation difficile des départements ruraux.

Le Département de l'Aisne envoie un message fort à l’État, en votant un budget insincère, car virtuellement équilibré mais en réalité en déséquilibre de 22,5 millions d'euros. Pour rappel, un budget doit être sincère et les collectivités territoriales n'ont pas le droit de voter un budget en déséquilibre. Les 36 membres de la majorité départementale l'ont voté mais l'opposition qui dénonce un « coup de com » n'a pas pris part au vote. L'exercice budgétaire prévu comporte donc une recette fictive de 22,5 millions d'euros, censée provenir d'un « fonds d'urgence » de l’État, qui n'existe pas aujourd'hui.

Un rééquilibrage attendu

« Lors de notre Débat d'orientations budgétaires 2024, je soulignais cet effet ciseaux terrible subi en 2023, se soldant par 37,5 millions d’euros de différence à la baisse entre nos recettes et nos dépenses et amenant au constat de notre incapacité à établir un budget équilibré pour 2024, sans recourir à une baisse drastique de nos dépenses de fonctionnement, sans un report de nombreux investissements, sans une augmentation conséquente de notre dette ou bien, sans une aide financière juste et adaptée de l’État, rappelle Nicolas Fricoteaux, président du Département. (…) C’est pourquoi, le choix que nous faisons d’un acte politique fort, en présentant un budget avec une recette incertaine et donc dans les faits, en déséquilibre, vise d’abord à dénoncer ce système infernal qui étouffe notre collectivité depuis trop longtemps. Cet acte doit, en particulier, pousser nos responsables nationaux à régler enfin le problème des allocations individuelles de solidarité non compensées et qui nous font mourir à petit feu. »

Le président du Département dit « attendre beaucoup » de la mission Woerth et espère obtenir un rééquilibrage entre Départements riches et pauvres comme l'Aisne, ainsi que des perspectives à long terme. À l'aide de graphiques, le Département démontre qu'il est contraint, sans cesse, dans son action. Le poids des dépenses sociales obligatoires (71% du budget) dans un département impacté socialement, n'est pas compensé par les ressources mises à disposition par l’État. « Cette année pour le RSA, nous recevons 45,8 millions de l’État pour 112 millions de dépenses. Un hold-up de 66,2 millions », admet Aurélien Gall de l'opposition de gauche. Thomas Dudebout, leader d'un des groupes de la majorité évoque lui aussi une « dette de l’État envers le l'Aisne de 94 millions d'euros non compensés si on compte toutes les dépenses sociales ».

Les conseillers départementaux ont voté un budget en déséquilibre pour alerter sur la situation intenable des finances d'un département rural et pauvre comme l'Aisne.

La présentation du budget rappelle aussi qu'un département rural et peu attractif comme l'Aisne est défavorisé par les modes de ressources actuellement en vigueur. Les DMTO (Droits de mutation à titre onéreux) prélevés sur les actes immobiliers et qui alimentent le budget départemental, sont à un niveau très faible. « L'Aisne est le troisème département le moins bien doté avec une moyenne de 152 € par habitant contre 240 € pour la moyenne nationale. Beaucoup de départements financent leur reste à charge avec cette recette quand pour nous, c'est impossible », illustre Nicolas Fricoteaux. « Pourquoi ne pas nationaliser les DMTO et les reverser ensuite aux territoires selon leurs besoins ? », propose Pierre-Jean Verzelen, élu du canton de Marle et sénateur.

Reste à savoir sur quoi débouchera cette action de la majorité départementale à l'adresse du gouvernement. Le député Eric Woerth rendra son rapport sur un futur projet de loi de décentralisation et de remise à plat des compétences des départements au mois de mai. D'ici là, l'appel de l'Aisne sera peut-être entendu et son horizon budgétaire s'éclaircira.