Idées

L'entreprise au XXIe siècle : fin du modèle de la performance ?

Le modèle de la performance rend les entreprises inaptes à survivre aux fluctuations violentes du XXIe siècle. Mais le monde du vivant peut être source d'inspiration pour inventer d'autres fonctionnements, selon l'ouvrage « L'entreprise robuste. Pour une alternative à la performance ».

(c) Adobe stock
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Dans le nord de la France, Pocheco, PME qui propose enveloppes et pochettes écologiques et services d'éditique a réalisé une mutation étonnante. A la fin des années 1990, sous la houlette d'un nouveau directeur, Emmanuel Druon, elle a bouleversé l'ensemble de son fonctionnement (fabrication, gouvernance, gestion des bâtiments...) revu à l'aune de trois critères : réduction de son empreinte écologique, amélioration des conditions de travail, pérennisation de la structure. Résultat ? En 15 ans, 10 millions d'euros investis dans l'écologie pour 15 millions d’euros d'économies. Pocheco fait figure de démarche exemplaire dans l'ouvrage « L'entreprise robuste. Pour une alternative à la performance », écrit par Olivier Hamant,chercheur à l'INRAE, Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement, Olivier Charbonnier, directeur général du groupe Interface, et Sandra Enlart, directrice de recherche en sciences de l'éducation à l’université de Paris-Nanterre (Ed. Odile Jacob).

Selon ces auteurs, cette « alternative » constitue une nécessité. En effet, le fonctionnement des entreprises serait inadapté au contexte actuel et futur fait de « fluctuations violentes » écologiques, sociales et géopolitiques. En cause ? Leur logique de « performance » - qui s'efforce d'atteindre un objectif avec le moins de moyens possibles (en temps, espace, ressources humaines … ) qui a présidé à l'élaboration de process de gestion optimisés de l'ensemble de ces paramètres. Or, « la performance se justifie dans un monde stable, aux ressources abondantes et en paix. Elle n'a aucun sens dans un monde instable , en pénurie de ressources ou en guerre (…) L' optimisation qui, par définition, cherche plutôt à aller contre les redondances, contre les aléas, contre les délais, contre les hétérogénéités, contre les erreurs et contre les incohérences, construit des systèmes extrêmement canalisés, et donc fragiles dans un monde qui change tout le temps », mettent-ils en garde.

Savoir hiberner avec l'ours

Pour survivre dans ce monde là, la manière dont fonctionne le vivant peut devenir source d'inspiration, propose l'ouvrage. Le fonctionnement, c'est celui de la « robustesse », entendue comme « capacité d'un système à maintenir sa stabilité ou sa viabilité, malgré les fluctuations ». Car le vivant ne recherche pas la performance. Par exemple, « les animaux n'augmentent pas leur métabolisme pour lutter contre le froid hivernal, ils baissent leur performance, en hibernant ». Partant, l'organisation de la nature suit des principes bien spécifiques. « Les réseaux moléculaires mettent en musique des contre-performances,- redondances, aléas, délais, hétérogénéité, erreurs, incohérences,- pour maintenir une dynamique interne forte à même de répondre aux fluctuations extérieures. Les réseaux moléculaires ne sont pas performants, ils sont d'abord adaptables », ajoutent les auteurs.

Autre caractéristique du fonctionnement du vivant, en situation de pénurie de ressources, « les vivants basculent de la compétition à la coopération ». Ainsi, les champignons symbiotiques qui, via les mycorhizes en interaction avec les racines des arbres, échangent vitamines, eau et nutriment contre des sucres obtenus des arbres grâce à leur photosynthèse . Les principes pourraient-ils être déclinés dans le monde de l'entreprise ? Le décideur qui s' inspirerait du fonctionnement du vivant « ne verrouillerait pas les missions ou l'organisation de l'entreprise, au contraire, il irait faire un tour dans ses cartons ou d'anciens projets avortés deviennent soudain pertinents, s'ouvrirait à d'autres missions (au delà de la production, faire de la formation, de la réparation) bref, il ajouterait des cordes à son arc », écrivent-ils.

Toutefois, le vivant ne saurait constituer qu'une source d'inspiration pour les dirigeants. Les auteurs insistent sur les limites de cette analogie entre le monde des entreprises et celui du vivant. Le premier comporte une dimension essentielle, structurelle, absente du second : celle de l'être humain avec des motivations et des comportements qui lui sont propres.

Mais si l'ouvrage ne propose pas un modèle à suivre, son propos n'en demeure pas moins radical. Les démarches de responsabilité sociétale, ou d'adaptation que mènent les entreprises aux risques ne constituent pas vraiment une réelle solution si les objectifs initiaux de performance et de rentabilité restent inchangés. Chez Pocheco, le changement est global. Si la performance « fait partie des objectifs, elle a pour finalité le progrès de l'organisation ». Pas de dividendes, une échelle des salaires de 1 à 4. Et le site Internet de l'entreprise s'ouvre sur l’annonce d'une conférence consacrée à « Biodiversité, le foisonnement du vivant », le 19 juin prochain, au siège de l'entreprise. Avec l'intervention de Paul Watson, fondateur de l’’ONG Sea Shepherd, de défense des océans.

Anne DAUBREE