Trois questions à Caroline Demoyer, directrice affaires publiques et communication externe et Chloé Dion, chargée d'intelligence économique et marchés chez Evolis, qui regroupe les fabricants de machines et de biens d’équipement.
«La concurrence asiatique, déjà massive et de plus en plus qualitative, impose de se tourner vers l'innovation»
Industriels fabricant en France et exportant massivement, les quelque 600 entreprises membres du syndicat professionnel Evolis (18 milliards d'euros de chiffre d'affaires) sont prises en étau entre l'isolationnisme américain et l'afflux de produits asiatiques vers l'Europe.

Comment
les entreprises d'Evolis réagissent-elles à la guerre économique
déclarée par Donald Trump ?
L'incertitude généralisée, la succession des annonces de Donald Trump génèrent de l'appréhension. Les adhérents d'Evolis sont dans l'attente. Pour l'instant, ils ont du mal à avoir une visibilité sur leur activité, car leurs entreprises sont très tournées vers l'export. Celui-ci représente environ 60% de leur chiffre d'affaires au global et pour certaines entreprises, la proportion peut même aller au-delà de 90%. En outre, les États-Unis constituent la première ou la deuxième destination à l'export de chacun des quatre grands secteurs d'activité que regroupe Evolis : les équipements pour le BTP (grues, matériel d'entretien des routes...), fluidiques (pompes, compresseurs...), de manutention (chariots, rayonnage...) et machines et solutions pour la production industrielle (machines pour le métal, solutions d'automatisation...). Ce dernier secteur, par exemple, connaît une activité en dents de scie depuis le début de l'année. A contrario, la situation peut s'avérer favorable pour les entreprises qui disposent de sites industriels aux États-Unis, mais cela demeure un cas de figure marginal.
Quelles
sont leurs stratégies face à l'isolationnisme américain qui
s'ajoute à d'autres contraintes pré-existantes ?
Les entreprises très tournées vers les États-Unis vont essayer de développer des marchés jusqu'alors secondaires pour elles, en particulier vers le grand export. Par exemple, l'Afrique du Nord, avec notamment le Maroc et l'Algérie – et aussi la Turquie- s'ouvrent de plus en plus aux producteurs de machines d'emballage et de conditionnement. Cette stratégie de diversification géographique se conjugue à d'autres, déjà mises en œuvre par les industriels d'Evolis pour faire face à d'autres contraintes. Ils déploient des stratégies de diversification sectorielle en adressant une multiplicité de filières utilisatrices pour ne plus dépendre d'un seul secteur. Par exemple, l'automobile, qui traverse depuis plusieurs années des difficultés, a longtemps été le marché principal de la robotique. Celle-ci s'est aujourd'hui tournée vers d'autres marchés comme la mécanique générale et la robotique médicale, avec des technologies de pointe. Car les industriels doivent réagir aussi à une autre contrainte : La concurrence asiatique impose de se tourner vers l'innovation. Pour nos adhérents, devenir hyper spécialisé, fournir des services, est devenu une question de survie.
L'étau
constitué par un marché américain qui se ferme et des produits
asiatiques qui affluent vers l'Europe menace-t-il de se resserrer ?
Même
si États-Unis et Chine ont repris leur dialogue commercial, il est
plausible que par précaution, cette dernière tente de se
diversifier, notamment vers l'Europe. Or, la concurrence asiatique
est déjà très massive et de plus en plus qualitative, d'après
notre Observatoire des flux extra-européens de machines et
solutions industrielles. Et l'industrie chinoise étant extrêmement
subventionnée, leurs équipements, à caractéristiques techniques
égales, peuvent être jusqu'à 50% moins chers que les nôtres. En
outre, l'afflux de ces produits est favorisé par des acteurs
européens, de plus en plus nombreux à sourcer leurs matériaux en
Chine et à les distribuer ensuite sous leur marque. Face à
cette concurrence déloyale, il revient à l'Europe de réagir.
Evolis demande que soient prises des mesures de sauvegarde qui
permettent de taxer les flux d'importations supérieurs aux quantités
considérées comme normales. D'un autre coté, il faudrait que
l'Union Européenne aide massivement l'investissement industriel,
mais pour l'instant cohabitent des politiques nationales très
disparates en la matière. Au niveau de la France, nous plaidons
pour une politique d'investissement productif pérenne et stable,
ainsi que pour l'intégration de critères de durabilité dans la
commande publique. Nous savons qu'à ce stade, Bercy réfléchit à
la mise en place d'un nouveau dispositif d'aide à l'investissement.