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Entreprises

La Cour des Comptes brise le tabou du pacte Dutreil

Le pacte Dutreil conforte la pérennité des entreprises familiales. Mais l'ampleur des avantages fiscaux qu'il procure dépasse sa contribution à l'intérêt général, selon le rapport de la Cour des Comptes, rendu public alors que le Parlement discute du projet de loi de Finances 2026.


Fuites et polémiques ont accompagné la publication du rapport, attendu et redouté. Le 18 novembre, à Paris, lors d'une conférence de presse, la Cour des Comptes a dévoilé son rapport consacré au pacte Dutreil, dispositif fiscal destiné à favoriser la transmission familiale des entreprises. Instauré en 2000, il n'avait encore jamais fait l'objet d'une évaluation approfondie. A l'origine, l'objectif du dispositif est double a rappelé Pierre Moscovici, premier président de la Cour des Comptes : « assurer la pérennité des entreprises familiales » et « soutenir la souveraineté économique de la France». Le dispositif qui prévoit un abattement de 75% sur la valeur de l'entreprise transmise, constitue un avantage fiscal « conséquent » pour ses bénéficiaires, a rappelé, en préambule de la présentation des résultats de l'étude, Pierre Moscovici . De nombreux pays européens disposent d'instruments comparables, mais avec des « conditions plus resserrées chez la plupart de nos voisins », a-t-il précisé.

La Cour explique avoir dressé un « panorama statistique » des entreprises transmises sous pacte Dutreil. Jusqu'alors un certain flou régnait, laissant place à des représentations potentiellement biaisées. Constats de l'étude : les chiffres qui circulent habituellement, entre 2 et 3 000 entreprises concernées chaque année depuis 2018 sont « sous évalués ». Elles seraient entre 3 000 et 4 000, et même entre 5 000 et 6 000 en 2024. C'est le deuxième constat : le recours au dispositif a nettement augmenté. Quant aux types d'entreprises qui l’utilisent, l'étude rapporte que celles du secteur de l'industrie ne représentent que 13% des transmissions, contre 20% pour celles du commerce, et 31% pour celles de l'agriculture. Les entreprises actives dans des secteurs réglementés comme la pharmacie ou l’expertise comptable sont aussi concernées.

Conséquence de ce constat général, « le premier message est que le montant de la dépense fiscale est beaucoup plus important qu'exposé précédemment », indique Pierre Moscovici . La Cour l’estime à 1,2 milliard d'euros en 2020 et 2021, 3,3 milliards en 2023 et 5,5 milliards l’an dernier. Le pic est lié à l'augmentation du nombre d'opérations et à la présence d'une « très grosse opération ». Car en termes de répartition de l'avantage fiscal, la Cour note une extrême « concentration » : 65 % du montant est imputable à 1 % des donataires et héritiers (110 personnes en 2024).

« Optimisation fiscale »

Le rapport comporte une évaluation des performances des entreprises concernées par le pacte Dutreil au bout de cinq ans, comparées à celles qui sont transmises hors dispositif.

Concernant la pérennité du contrôle familial sur les entreprises, le pacte a un « effet réel » précise Pierre Moscovici. D'après l'étude, les entreprises transmises hors pacte subissent plus souvent que les autres des restructurations qui incluent des changements d'actionnaires ou l'entrée d'actionnaires étrangers. En revanche, « les effets positifs économiques attendus ne sont pas tous observés ». Les entreprises transmises sous pacte ne réalisent pas plus d'investissements ni ne créent plus d'emplois que les autres. Leur contribution à l'économie n'est donc pas particulièrement notable.

Sur la base de ces constats, « il n'est pas question de supprimer le pacte Dutreil (…) Mais plusieurs éléments plaident nettement en faveur de sa restriction», conclut Pierre Moscovici. La Cour émet plusieurs recommandations. Certaines visent à supprimer des mécanismes considérés comme relevant de « l'optimisation fiscale ». Elle propose, par exemple, d'exclure les biens non professionnels du régime de faveur. D'autres visent à réduire le montant de la dépense fiscale. Par exemple, diminuer le taux d'exonération, introduire une progressivité dans le barème, réduire ou supprimer les avantages accordés aux entreprises des secteurs réglementés. « Elles ne présentent pas d'enjeu de protection de l'emploi ou de souveraineté économique », argumente Pierre Moscovici.

Les réactions à la publication du rapport n'ont pas tardé. Le Meti ( Mouvement des entreprises de taille intermédiaire) et le Medef ont contesté les modalités de l'étude et ses conclusions sur le dispositif. « Alors que 500 000 entreprises vont devoir être transmises dans les années qui viennent , ce n'est pas le moment de le remettre en cause », a commenté Serge Papin, ministre des PME, sur les réseaux sociaux.


Éclairer le débat parlementaire en différé

Pourquoi publier le rapport le 18 novembre, alors que l'Assemblée nationale a commencé à examiner le projet de loi de Finances 2026, le 24 octobre dernier ? La responsabilité en revient à Bercy qui a « pris son temps » et usé de tous les délais légaux, comme celui d'un mois prévu pour répondre aux travaux de la Cour des comptes (sans finalement répondre), selon Pierre Moscovici.