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Le manque de confiance pèse sur la croissance

Alors que l’épargne atteint de nouveaux records, la consommation demeure en berne, observe l’Insee, dans sa dernière note de conjoncture. La valse des gouvernements depuis juin 2024 mine durablement le moral des ménages.

 Le tourisme fait partie des « quelques branches » qui « maintiennent l’activité économique à flot », selon l’Insee. (c) Olivier RAZEMON
Le tourisme fait partie des « quelques branches » qui « maintiennent l’activité économique à flot », selon l’Insee. (c) Olivier RAZEMON

« Je suis furieuse ! Les ponts de mai, c’est notre meilleure saison. Si le gouvernement supprime des jours fériés, on va faire comment ? ». Début septembre, quelques jours avant la chute du gouvernement Bayrou, Delphine Labeyrie, qui exploite un restaurant dans la petite commune de Chalencon (Ardèche), ne décolère pas contre la mesure la plus emblématique du plan d’économies annoncé en juillet par le désormais ancien Premier ministre. Depuis le printemps, l’établissement créé en 2022, où elle propose des quiches et des gratins, ne désemplit pas, notamment grâce aux retraités ravis d’enfourcher un vélo électrique pour découvrir les paysages magnifiques de la vallée de l’Eyrieux.

Le tourisme fait partie des « quelques branches » qui « maintiennent l’activité à flot », confirme l’Insee dans sa note de conjoncture publiée le 11 septembre, intitulée « Pas de confiance, un peu de croissance ». Grâce à ce secteur, ainsi qu’au marché immobilier, à l’agriculture et aux ventes aéronautiques, l’activité devrait gagner 0,3% au troisième trimestre, un résultat inespéré avant l’été. « La croissance ne décrocherait pas d’ici la fin de l’année », avancent les conjoncturistes, qui révisent à la hausse leur prévision pour 2025, à 0,8%. Au printemps, le ministère de l’Economie tablait sur une croissance de 0,7%.

Cela n’empêche qu’en Europe, « la France se distingue par un singulier manque de confiance », modère Dorian Roucher, chef du département de la conjoncture à l’Insee. Alors que l’inflation demeure plus faible que dans les autres pays de la zone euro et que le pouvoir d’achat progresse davantage, « le taux d’épargne bat chaque trimestre un nouveau record » et s’est établi à 18,9% fin juin. « La confiance des ménages connaît une érosion continue depuis février, au plus bas depuis presque deux ans », observent les conjoncturistes. Le moral des ménages, précise Dorian Roucher, « a plongé à l’annonce de la dissolution de juin 2024 », et ne cesse de se dégrader depuis. Les entreprises ne sont pas mieux loties. Le climat des affaires, mesuré auprès d’un panel de chefs d’entreprises, qui « a perdu cinq points avec la dissolution », ne les a pas retrouvés, souligne l’économiste.

Les conjoncturistes s’attendent certes à un « dégonflement du taux d’épargne » d’ici la fin de l’année. En effet, le solde d’impôt sur le revenu devra être versé cet automne. Comme la masse des revenus soumis à l’impôt a davantage progressé que l’inflation en 2024, ces versements devraient piocher dans l’épargne disponible. Toutefois, l’Insee se veut « prudent », car « la faible consommation nous surprend de trimestre en trimestre ».

L’« écart entre les perceptions individuelles et les agrégats effectivement mesurés », qui explique l’épargne record, joue également à propos du marché du travail. Ainsi, alors que la crainte du chômage est au plus haut depuis dix ans, « l’emploi résiste et le taux de chômage n’augmenterait que légèrement d’ici la fin de l’année, à 7,6% », indique la note de conjoncture. Là encore, l’attractivité touristique a joué un rôle, puisque ce secteur est « assez intensif en main d’œuvre ».

L’activité française peut compter sur quelques autres moteurs, notamment « un fort mouvement de reconstitution de stocks, après deux années où les entreprises les avaient massivement sollicités ». L’Insee identifie enfin « une rare bonne nouvelle » venue du secteur du bâtiment, la reprise de la construction de logements neufs.

Impact limité des canicules de l’été

Les aléas qui assortissent traditionnellement la note de conjoncture sont nombreux, à commencer par les difficultés récurrentes pour adopter le budget de l’Etat. La bataille des droits de douane lancée par le président américain, ainsi que les ripostes des partenaires des Etats-Unis, « semblent se stabiliser », mais « l’imprévisibilité de l’administration américaine reste forte ». Enfin, les marchés des matières premières, notamment celui du pétrole, connaissent un « excès d’offre » et donc des prix bas, mais « un regain de tensions géopolitiques pourrait balayer les gains » dont bénéficient actuellement les pays occidentaux.

L’Insee s’est par ailleurs penché sur l’impact économique des deux canicules que la France a subies au cours de l’été, en juin-juillet puis en août. Les statisticiens voulaient savoir si les conséquences avaient été similaires à celles du mois d’août 2003, dont le niveau reste inégalé. Les productions de céréales et viticole s’étaient alors effondrées, tandis que la mortalité du bétail et des volailles avait progressé. Les mêmes phénomènes ne se sont pas reproduits en 2025, indique l’Insee. Les céréales connaissent de bien meilleurs rendements (+27%) qu’en 2024, année pluvieuse, et si la production viticole demeure en retrait (-13%) par rapport à la moyenne quinquennale, elle a progressé de 3% par rapport à 2024.

Les statisticiens, en se basant sur les données déjà disponibles, ont observé une hausse de la consommation d’électricité, qu’ils attribuent à « un recours accru aux climatiseurs ». En revanche, les dirigeants des entreprises du BTP déclarent ne pas avoir été pénalisés par les conditions climatiques. Enfin, les données de caisse de la grande distribution alimentaire signalent logiquement une hausse de la consommation de boissons et de produits laitiers (les glaces) pendant ces épisodes. L’effet immédiat des canicules demeure donc limité sur l’économie, mais « cela ne préjuge pas de leur impact à long terme », rappelle Clément Bortoli, chef de la division synthèse conjoncturelle à l’Insee.