« Le moteur de l’emploi cadres est grippé »
Hélène Garner, directrice des données et études de l’Apec, livre les dernières tendances et perspectives qui se dégagent du Baromètre de l’association de ce second trimestre*.

Quelles
sont les grandes tendances qui ressortent de ce baromètre du 2ᵉ
trimestre 2025 ?
Les
résultats du baromètre confirment ce que l’Apec avait anticipé
en début d’année, à savoir une confiance dégradée des
entreprises dans l’avenir, dans leurs carnets de commandes et donc
dans les recrutements de cadres. La confiance des entreprises dans
leur activité a baissé de cinq
points en un an et de 12 points en deux ans. On voit une nette
dégradation du climat des affaires avec une croissance économique
en berne. Et
aussi et surtout l’investissement des entreprises,
un des moteurs de l’emploi cadres, a
diminué
d’1,2% en 2024 et
devrait connaître
encore une baisse de 0,5% en 2025. Ce
moteur est
grippé. Face à cet attentisme sur les décisions d’investissement
des entreprises, les intentions de recrutement
au second
trimestre continuent de
baisser. Même si le volume de recrutements diminue, il faut noter
qu’il reste à un niveau élevé, bien au-delà du niveau d’avant
crise. Après avoir atteint en 2024 un sommet historique de plus de
300 000 recrutements de cadres, le volume de ces embauches a
progressé de près de 2 % cette même année. En 2025, on s’attend
toutefois à un léger recul, repassant juste en deçà
du seuil des 300 000
recrutements. Nous restons donc sur une tendance dynamique avec un
emploi cadres
qui résiste plutôt mieux que le reste de l’emploi et se montre
plus résilient. Nous pouvons donc rester modérément optimistes
puisque nous n’anticipons pas un rebond, mais seulement un
ralentissement de la baisse.
Dans
un contexte d’incertitude économique, comment les entreprises
ajustent-elles leurs prévisions de recrutement ?
Alors
que les entreprises mettaient auparavant en avant le manque de
candidats ou de compétences comme principaux obstacles au
recrutement de cadres, ce sont désormais les incertitudes
économiques qui freinent davantage les embauches. Des incertitudes
et une instabilité géopolitique qui devraient se poursuivre en 2025
et contraindre les entreprises à ajuster encore leurs prévisions.
Même si nous anticipons pour 2025 une baisse moindre que l’an
passé de -4%, contre -8% en 2024.
Comment
se comportent les grandes
entreprises par rapport aux PME et TPE ?
A
travers le baromètre, nous observons une stagnation des intentions
d’embauche, notamment dans les grandes entreprises (46 %, soit 3
points de moins qu’il y a un an) et dans les TPE (4
% ; -2 points). En revanche, on observe un très léger rebond
dans les PME (+ 2 points à 15% d’intentions).
Constatez-vous
des disparités régionales marquées dans les intentions de
recrutement ?
Aucune
région n’est épargnée : toutes connaissent la même
tendance baissière, comprise
entre -4% et -14%. En 2024, nous avons ainsi constaté un
repli plus ou moins fort
dans toutes les régions et anticipons pour 2025 soit une baisse,
soit un maintien. A noter que sur deux ans, il y a un effet
rattrapage et un rééquilibrage : les régions qui ont beaucoup
diminué en 2024, comme la
Normandie et Nouvelle-Aquitaine,
baisseront moins en 2025 et à l’inverse, celles qui ont peu
fléchi
en 2024 devraient connaître de plus fortes baisses
en 2025. L’ Ile-de-France, région moteur et locomotive pour
l’emploi des cadres, après -8% en 2024 enregistrerait -4% en 2025,
comme au national.
Certains
métiers ou secteurs sont-ils en tension particulière ?
Tous
les secteurs d’activité sont en baisse. Aucun n’avait une
dynamique positive en 2024 et nous n’en anticipons pas en 2025.
Parmi les secteurs les plus touchés, les services à forte valeur
ajoutée (informatique, conseil, ingénierie, R&D), enregistrent
une chute des recrutements
de 10%. Si le secteur va se redresser en affichant un
repli moins fort en
2025, le volume de recrutements sera toujours en
baisse. Avec, pour principale conséquence, le fort recul de
-19% en 2024 du recrutement de jeunes cadres avec moins d’un an
d’expérience. Cette tendance devrait se poursuivre sur 2025
puisque l’on anticipe une diminution
de 16%, contre -4% pour l’ensemble du marché des cadres. Le
risque étant que ces profils soient moins recrutés et que les
entreprises fassent moins de concessions.
Le
rapport de force sur le marché du travail a
basculé en faveur des recruteurs ?
Si
le rapport de force penchait autrefois en faveur des candidats, il
tend aujourd’hui à se rééquilibrer au profit des entreprises.
C’est ce que révèle l’analyse des concessions que ces dernières
sont désormais prêtes à accorder. Elles se montrent moins
disposées à revoir leurs propositions salariales à la hausse ou à
élargir leur recherche à des profils plus expérimentés. Le marché
de l’emploi est moins sous tension : les recruteurs disposent de
davantage de candidatures, ce qui les incite à prendre moins de
risques en sélectionnant des profils très ciblés, en parfaite
adéquation avec leurs attentes. Notre dernière étude annuelle sur
les pratiques de recrutement, publiée en mai1,
a
mis en
lumière ce retournement de tendance et ses effets concrets sur les
processus de recrutement, en particulier sur les marges de
négociation dont disposent les candidats. On observe également un
recul des démarches proactives de la part des entreprises en matière
de sourcing, ainsi qu’un moindre recours aux cabinets ou autres
intermédiaires spécialisés dans le recrutement.
Quel
est l’état d’esprit des cadres actuellement : sont-ils plus
ouverts à la mobilité ?
Les
intentions
de
mobilité restent fortes et ne baissent pas malgré le retournement
du marché du travail. 13% des
cadres
envisagent ainsi d’entreprendre des démarches actives afin de
changer d’entreprise dans un délai de trois mois. Néanmoins, ils
sont plus nombreux à juger
cette
mobilité comme difficile : 56% (+4 points
sur un an) anticipent ainsi des difficultés à retrouver un emploi
équivalent à celui qu’ils occupent actuellement. Les plus jeunes,
qui ont les plus fortes envies
de mobilité (18% pour les moins de 35 ans) sont également les plus
nombreux à estimer
que ce sera difficile (42 % ; +9 points).
Si l’on ne connaît
pas les motivations des cadres, on peut supposer que dans le contexte
conjoncturel actuel les intentions de mobilité pourraient davantage
s’expliquer
par des raisons défensives, comme la crainte de perdre son emploi ou
le manque de perspectives d’évolution dans l’entreprise.
Observez-vous
une évolution dans les attentes des candidats ?
Notre étude sur les pratiques de recrutement a mis en lumière les attentes principales des cadres sur les processus de recrutement. Ces derniers souhaitent davantage de transparence, de lisibilité et de rapidité. Pour le moment, il y a un vrai décalage, notamment sur la rapidité : alors que la durée moyenne d’un processus de recrutement est de 12 semaines, ils plébiscitent de leur côté trois semaines de process. C’est une attente qui est forte, notamment chez les jeunes cadres. L’étude que nous avons menée en 20242 en partenariat avec Terra Nova a révélé que les attentes des jeunes étaient assez similaires à celles de leurs aînés. Au-delà du fait qu’ils ont le même engagement qu’eux, ils sont particulièrement attentifs aux questions de sens au travail, de rémunération et de considération par leurs managers.
*Baromètre réalisé à partir de deux enquêtes menées du 2 au 16 mars 2025 : une enquête en ligne menée auprès d’’un échantillon de 2 000 cadres et une enquête téléphonique auprès d’un échantillon de 1 000 entreprises.
1https://corporate.apec.fr/home/nos-etudes/toutes-nos-etudes/pratiques-de-recrutement-de-cadr.html
2https://corporate.apec.fr/home/nos-etudes/toutes-nos-etudes/rapport-au-travail-des-actifs-de-moins-de-30-ans.html