Les experts-comptables au coeur de la transmission d’entreprise
La transmission d'entreprise représente un enjeu colossal pour le tissu économique national et cela devrait s'accentuer dans les dix prochaines années. Alexandra Sabin Brasset, présidente du Comité évaluation et transmission du Conseil national de l’Ordre des experts-comptables nous apporte son éclairage sur le rôle de la profession dans le cadre d’une transmission.
 
                            Pouvez-vous nous expliquer vos missions et nous rappeler le rôle du Comité Evaluation & Transmission que vous présidez ?
Au sein du Conseil national de l'Ordre des experts-comptables figure ce comité composé de personnes qualifiées et d'élus. Notre rôle est d'accompagner la profession en leur apportant des outils, des livrables sur les méthodes d'évaluation, l'analyse de risque, etc. Sur le volet transmission, notre fonction est triple. Elle consiste à former des experts-comptables dans leur accompagnement aux dirigeants afin d'anticiper et faciliter les transmissions ; organiser des événements sur les territoires pour mettre en avant cette compétence et enfin remonter au niveau national les difficultés rencontrées à l'échelle territoriale.
Quelles sont les grandes tendances observées en matière de transmissions à l'échelle nationale ?
Le nombre de transmissions ne se réduit pas et l'âge des cédants diminue. Les dirigeants n'attendent plus forcément la retraite pour céder leur entreprise et cette tendance s'est accélérée post-covid. Soit parce qu'une opportunité se présente, soit parce que la structure est arrivée à un niveau de maturité, soit parce que des projets autres sont annexés. Dans les dix ans à venir, un grand nombre d'entreprises vont arriver à une phase de transmission. Cet enjeu de pérennité de ces sociétés est largement pris en considération par le gouvernement qui a lancé une grande mission transmission. C'est un enjeu économique colossal mais aussi un enjeu social et sociétal.
Quelles sont les principales difficultés rencontrées par les dirigeants lorsqu'ils envisagent de transmettre leur entreprise ?
La difficulté la plus importante est de faire matcher le vendeur avec l'acquéreur. Trouver la bonne personne. Le dispositif Business Story reprise a été créé pour cela (voir encadré), il permet d'accompagner le repreneur, lui permettre de déposer son projet et tous ses critères, tout en restant confidentiel.
Comment les experts-comptables accompagnent-ils concrètement les dirigeants dans ce processus ?
Nous sommes présents pour le dirigeant de A à Z durant le processus de transmission. L'accompagnement se traduit en dix étapes : la prise de connaissance du projet de cession et la définition de l'étendue de la mission ; la préparation de l'entreprise à la vente ; l'évaluation de l'entreprise ; l'établissement du dossier de présentation ; la présélection de repreneurs ; la participation aux négociations et à l'élaboration du protocole et des actes et enfin l'accompagnement du cédant post-cession. Finalement, nous sommes même au courant avant le projet puisque tout au long de notre accompagnement de la vie de l'entreprise, on peut déjà commencer à en parler et amener le sujet de la transmission en amont.
Le cédant doit-il vraiment s'y prendre des années à l'avance avant de transmettre son entreprise ?
Il faut anticiper au moins cinq ans avant pour avoir une structuration de l'entreprise comme on le souhaite et faire un «360» de l'entreprise. Il y a ce que veut le cédant sur l'aspect patrimonial - qui ne se met pas en place du jour au lendemain - car il y a des obligations d'engagement, de délais etc. Le changement dans l'entreprise doit se faire progressivement pour éviter la levée de bouclier en interne. Tout ne se fait pas du jour au lendemain, que ce soit côté juridique, commercial, RH, et sur le volet marché, deux ans ne suffisent pas. Les cessions faites par défaut n'ont jamais été une réussite. Il faut savoir que les cédants sont très attachés à la continuité. L'acquéreur doit se placer dans une continuité intellectuelle, car c'est avant tout une aventure humaine.
«Une transmission s’anticipe au moins 5 ans à l’avance»
Voyez-vous émerger de nouvelles formes de transmissions ?
Tout à fait. Le format de salariés-repreneurs, par exemple, même s'il reste à la marge. On peut pousser ces sujets auprès des dirigeants, ça c'est notre rôle. Nous sommes les premiers conseillers des dirigeants, on connaît parfaitement la structure, on est très privilégiés pour ça et on peut ainsi amener notre œil extérieur, et leur dire «avez-vous regardé en interne ?» car les chefs d'entreprise ont tendance à se tourner vers le monde extérieur. Pour un salarié-repreneur, il peut y avoir le sujet de l'apport financier mais ça se structure parce que des sujets d'épargne salariale peuvent demain aider à un apport dans le cadre d'une prise de participation de capital. Il y a aussi le format SCOP, les sociétés coopératives où les salariés sont actionnaires de leur entreprise. On embarque tous les salariés qui deviennent partie prenante de l'entreprise. Duralex en est un bel exemple. Ce sont des formats qui existent, parfois encore trop méconnus et c'est notre rôle de les mettre en évidence.
Quelles mesures fiscales, réglementaires ou d'accompagnement pourraient à l'avenir faciliter les transmissions ?
Fiscalement, il faut faire perdurer les dispositifs existants et ne pas les remettre en question. Cependant, sur le crédit vendeur, il faudrait étaler la fiscalité au fur et à mesure du paiement. Il y a également des sujets sur les droits d'enregistrement qui ne sont pas uniformes selon les formes juridiques y compris sur les sujets de fonds de commerce, peut-être qu'il y a un sujet d'harmonisation, d'uniformisation qui pourrait faciliter. Enfin, il faudrait imaginer de nouveaux dispositifs pour faciliter la transmission des salariés repreneurs.
Business Story, un dispositif qui fait ses preuves
Le Conseil national de l'Ordre des experts-comptables a mis en place un dispositif gratuit intitulé Business story à destination de tous les acteurs qui ne disposeraient pas d'un accompagnement d'expert-comptable. Ce dispositif qui existe depuis 2016 compte déjà 70 000 accompagnements. Il consiste à offrir trois rendez-vous avec l'expert-comptable de leur choix et choisir le contenu parmi 12 thématiques. Enfin, une autre initiative gratuite est née récemment : Business story Reprise. Il s'agit d'un site dédié aux repreneurs qui peuvent alors se créer un profil, remplir de nombreux critères (type d'entreprise recherchée, secteur d'activité, zone géographique, montant à investir...) et analyser les entreprises à vendre.