Démocratie directe
Ménil-la-Horgne : Des habitants décideurs
Depuis l’été 2020, Ménil-la-Horgne expérimente la démocratie directe, s’appuyant sur une assemblée citoyenne où chaque habitant a voix au chapitre. Cette organisation innovante a d’ailleurs permis à cette petite commune rurale meusienne de 190 habitants d’initier près de 70 projets en moins de cinq ans. Une dynamique inédite.

Tablettes Lorraines : Quel est le point de départ de l’aventure de la démocratie directe
et de la constitution de votre assemblée citoyenne ?
Sylvie Petit : C’était juste avant les élections. L’ancien maire a dit qu’il ne voulait plus se représenter. Il est allé voir Claude (Kaiser élu maire en juin 2020) qui avait eu précédemment un mandat de maire classique. Il a dit oui mais à condition que nous fonctionnions en démocratie directe.
Claude Kaiser : J’ai eu cette idée dictée par mes lectures sur la démocratie athénienne s’appuyant sur le concept d’habitants décideurs. Ça n’existe nulle part ailleurs. Concrètement, il nous fallait un conseil municipal, ce sont donc des gens qui se sont engagés à respecter scrupuleusement les décisions de l’assemblée citoyenne. Les onze ont signé une charte morale. Nous ne sommes qu’un exécutif et non pas un organe décisionnel classique.
Alain Louis : Moi personnellement je n’y croyais pas. J’ai donc décidé de ne pas m’inscrire sur la liste pour le conseil, mais j’ai eu envie de participer à l’assemblée citoyenne.
Guillaume Vauthier : On a dû réfléchir collectivement pour inventer notre modèle. À la suite de l’élection, une première assemblée citoyenne fondatrice a été convoquée en juillet 2020. Nous avons décidé d’un règlement. Nous étions 35 à la première. C’était une belle représentation, mais parfois nous sommes près de 80 pour les sujets les plus sensibles.
Sylvie Petit : On n’est pas venu les mains dans les poches, certains avaient commencé à réfléchir. Nous avons voté et amendé la charte qui fut préparée par le conseil municipal. Pour ce premier rendez-vous, il y a eu le recensement de toutes les idées des habitants. Sur le tableau, 100 post-it étaient exposés, même les projets des enfants. C’est d’ailleurs la première réalisation d’ampleur qui ait abouti.
Les Tablettes Lorraines : Justement cinq ans après le lancement de votre assemblée citoyenne, que pouvez-vous dire des actions mises en place ?
Guillaume Vauthier : L’unanimité est impossible sinon nous ne pourrions rien faire. Les décisions sont prises à la majorité. On soumet l’idée, après on débat puis on vote. J’insiste sur l’étape du débat car parfois nous changeons d’avis.
Sylvie Petit : La magie vient de la richesse des débats. Mais quand le résultat est ric-rac, on continue de discuter. L’enjeu, c’est le consensus et l’apaisement, mais pas l’affrontement.
Claude Kaiser : Contrairement à un référendum où chacun discute avec lui-même, dans son coin, là, on échange, on entend les arguments des autres et on fait des pas vers les uns et les autres. Personnellement, j’étais contre le projet du city stade car je pensais que ça participait à l’artificialisation des sols, que ce n’était pas adapté pour un petit village... La majorité a dit oui et quand je vois le résultat aujourd’hui, la réalité m’a donné tort.
Les Tablettes Lorraines : Est-ce que ça veut dire que les dossiers sont plus longs et plus difficiles à faire aboutir ?
Sylvie Petit : Pas du tout. En fait, si on dresse le bilan des cinq ans, plus de 70 réalisations ou projets ont été validés en démocratie directe. C’est spectaculaire, ça crée un dynamisme.
Guillaume Vauthier : Et surtout ça permet l’implication des habitants.
Alain Louis : Et le maire se sent surtout moins seul et davantage soutenu par toute sa population. C’est une sacrée différence.
Claude Kaiser : C’est le jour et la nuit. Je vous dis que le conseil municipal a une pression positive d’avancer. Nous nous chargeons des dossiers de demandes de subvention, les appels d’offres, les entreprises. C’est un confort inimaginable car nous ne pouvons pas trahir la population car nous suivons ce que la majorité a décidé. Je n’aurai jamais osé initier tous ces projets dans l’ancienne organisation.
Les Tablettes Lorraines : Au bout de cinq ans de fonctionnement, avez-vous été confrontés à un essoufflement de la participation ?
Guillaume Vauthier : Claude (Kaiser) nous avait parlé du cas d’un village en Alsace qui avait voulu mettre en place une organisation citoyenne mais qui s’est vite essoufflée. On devait juste trouver le juste équilibre sur le nombre d’assemblées citoyennes.
Alain Louis : On avait notifié dans le règlement, une assemblée citoyenne par trimestre, mais il n’y a pas de règle. Ça dépend des projets. Certaines années, seules trois ont été convoquées, pour d’autres, on a pu en organiser huit.
Sylvie Petit : Pour garantir un bon fonctionnement, à la fin de chaque assemblée, trois personnes sont désignées pour préparer la suivante : recenser les idées via notre boîte à idées pour définir l’ordre du jour. Pour communiquer, nous avons un groupe Telegram, on envoie également par mail et on imprime l’ordre du jour distribué dans toutes les boîtes aux lettres ; chaque habitant reçoit les informations selon l’outil le plus adapté.
Les Tablettes Lorraines : Justement, quelles sont les réalisations conduites par la commune ?
Réponses collectives : Certains projets se décident en fonction aussi des subventions que nous pouvons recevoir. Parmi nos plus gros projets, le city stade a été aménagé au début de mandat. Nous nous sommes saisis de la sécurité routière et de la circulation qui ont suscité un vif débat et qui ont abouti à un consensus avec la création d’une commission et un aménagement adapté. Le rachat par la commune de l’immobilier qui risquait de fermer faute de repreneur (une auberge avec chambre d’hôtes) a aussi été acté. Actuellement, nous avons un projet éolien avec huit éoliennes dont six pour une société privée et deux éoliennes publiques dont une en propriété communale et l’autre pour la SEM régionale. C’est un projet économique de revente. Le permis de construire a été déposé en janvier. Nous avons également un projet en discussion autour de la création d’une centrale photovoltaïque équipée d’une batterie hydraulique avec pour objectif l’autonomie énergétique du village.
Les Tablettes Lorraines : Est-ce que votre organisation qui est désormais bien huilée pourrait être dupliquée dans d’autres communes ?
Guillaume Vauthier : C’est possible, mais différemment.
Claude Kaiser : Il n’y a pas de raison que ça ne fonctionne pas ailleurs, nous n’avons pas un microclimat de démocratie directe chez nous, nous ne sommes pas plus intelligents, mais la question de la taille de la commune se pose. Au-dessus de 500 habitants, les assemblées citoyennes peuvent vite devenir ingérables. Il faudrait autonomiser les quartiers qui fonctionneraient comme un village. Nous avons beaucoup de compétences communales, nous avons du pouvoir alors au lieu de mettre en avant les impossibilités, généralisons notre organisation ! En tout cas, ici, nous ne pourrions pas revenir en arrière. Les habitants ont vite pris de nouvelles habitudes.
L’aménagement d’une place du village
Plus d’un an après la démolition de deux granges, en mars, la destruction d’une ancienne maison inhabitée au cœur du village s’est fait sous les yeux de nombreux badauds venus assister symboliquement au lancement du projet de création d’une place. C’est un des nouveaux projets soumis à la discussion de l’assemblée citoyenne. Une commission est d’ailleurs mobilisée sur le futur aménagement de 1 700 m2. À suivre.