Plongée dans la France des très riches
En publiant, le 18 novembre, une étude consacrée aux très hauts revenus, l’Insee alimente le débat budgétaire. En 20 ans, les revenus des 0,1% de contribuables les plus dotés ont progressé en moyenne de 119%, contre 46% pour les autres contribuables.
«Les riches sont toujours plus riches». Cette petite phrase, que l’on entend souvent, correspond-elle à la réalité ? Oui, annonce l’Insee, en publiant, dans son Portrait social 2025 une étude portant sur les contribuables dont la déclaration annuelle d’impôts fait état de très hauts revenus. En cette fin d’année, le sujet est au cœur des débats budgétaires. Le Parlement envisage une taxation supplémentaire des très grosses rétributions. Des célébrités aisées, tel le comédien Pierre Arditi le 19 novembre, prennent position pour «la taxation des ultrariches». 86% des sondés, selon l’Ifop, approuvent le principe d’une «taxe Zucman» de 2%, assise sur les patrimoines de plus de 100 millions d’euros. Des innovations fiscales, impôt sur la «fortune improductive», taxe sur les yachts, ont agité les débats parlementaires. Non sans raison, donc : la statistique confirme la spectaculaire envolée des foyers fiscaux les mieux dotés.
Les 0,1% de ménages disposant de revenus les plus élevés sont au nombre de 40 700 en 2022. Ces foyers fiscaux perçoivent en moyenne, selon les calculs de l’Insee, un million d’euros de revenus déclarés par an, contre 31 000 euros pour les autres contribuables. Entre 2003 et 2022, leurs rentrées ont bondi de 119% en euros courants (inflation non incluse), tandis que les gains des autres contribuables ne progressaient que de 46%.
L’Insee précise que les contribuables de 2022 ne sont plus nécessairement ceux de 2003. Compte tenu des divorces, des décès, des départs à l’étranger ou de l’entrée dans la vie active, seuls 41% des contribuables sont qualifiés de «pérennes», c’est-à-dire qu’ils déclaraient déjà des revenus en 2003. Mais l’Insee observe que la part des foyers «pérennes» est importante chez les très hauts revenus : 45%, contre 32% des ménages situés dans le quart le plus bas.
Revenus divers
Tandis que les contribuables lambda vivent principalement de leurs salaires (63%) ou de leurs pensions de retraite (26%), les revenus des « 0,1% » affichent une grande diversité. Les retraites n’y entrent que pour 2,7% et les salaires pour 35,5%, ce qui constitue tout de même un salaire annuel moyen de 271 368 euros nets, «soit 13 fois le revenu salarial médian et 16 fois le Smic annuel», a calculé l’Insee. En outre, les foyers très aisés déclarent en moyenne 10,5% de bénéfices professionnels, propres aux professionnels indépendants, et surtout 47% de revenus des capitaux mobiliers, contre seulement 2,2% pour les autres contribuables. La provenance géographique des revenus est également plus diverse, puisque 20% de ces sommes proviennent d’autres pays. Ces contribuables sont d’ailleurs, davantage que la moyenne, nés à l’étranger, notamment «en Europe occidentale, aux États-Unis ou au Maroc», souligne l’Insee. Ils ont aussi tendance à davantage habiter à Paris et dans les Hauts-de-Seine, à vivre en couple marié ou pacsé et sont plus âgés que la moyenne.
Les revenus stratosphériques sont volatiles. Leur croissance, ces 20 dernières années, n’a pas été linéaire, mais a dépendu des événements financiers internationaux et des politiques fiscales hexagonales. Ainsi, la croissance des revenus s’est heurtée à la crise financière mondiale de 2008 puis, en 2012, à celle des dettes européennes, suite à la crise grecque. Les choix fiscaux ont été plus favorables aux très hauts revenus sous les présidences Chirac, Sarkozy et Macron qu’entre 2012 et 2017, même si la croissance ne s’est pas arrêtée durant le mandat de François Hollande.
«Ils contribuent à hauteur de 10,7 milliards d’euros aux recettes de l’impôt sur le revenu»
Logiquement, la part de l’impôt sur le revenu (IR) payé par cette catégorie a également progressé. En 2022, observe l’Insee, ces ménages «contribuent à hauteur de 10,7 milliards d’euros aux recettes de l’impôt sur le revenu». Cette somme, qui représente 13% du total de l’impôt, est «quatre fois supérieure à la part des ‘0,1%’ dans l’ensemble des revenus». Une contribution logique puisque l’IR n’est pas proportionnel, mais progressif, le taux d’imposition fonctionnant par tranches successives. Néanmoins, l’Insee constate que le taux d’imposition moyen des plus fortunés a baissé entre 2003 et 2022, passant de 29,2% à 25,7% de leur revenu.
Cette correction s’explique par la structure des revenus les plus élevés, marqués par les valeurs mobilières et les biens immobiliers. «Les frais de gestion financière sont décroissants selon le montant du patrimoine, et les foyers les plus aisés bénéficient d’une meilleure expertise financière», souligne l’Insee. En outre, «les foyers les mieux dotés en patrimoine immobilier possèdent plus souvent des biens de location haut de gamme, a fortiori dans les zones à fort rendement, comme les métropoles ou les zones touristiques cotées». Ce constat confirme l’adage selon lequel « on ne prête qu’aux riches ». Ou, plus précisément, les prêteurs réservent aux riches de meilleurs taux.