Portrait. Jean-Pierre Farandou, la fibre sociale
Arrivé au ministère du Travail le 12 octobre, Jean-Pierre Farandou a fait l’essentiel de sa carrière à la SNCF, qu’il a présidée pendant six ans. On lui reconnaît une sensibilité sociale qui sera indispensable au gouvernement Lecornu II.

Jean-Pierre Farandou s’est promptement excusé. Deux jours après sa nomination, le nouveau ministre du Travail et des Solidarités avait justifié la suspension de la réforme des retraites de 2023 en ces termes : «Nous ne sommes pas sourds, nous ne sommes pas autistes». Or, l’autisme n’est pas une incapacité à comprendre, mais un trouble du neuro-développement. Le propos avait aussitôt provoqué un tollé.
Jean-Pierre Farandou a pourtant l’habitude des réactions épidermiques de la société. Pendant six ans, il a présidé la SNCF, une entreprise publique que chaque client aime détester et où le moindre incident déclenche des tweets rageurs, des publications sur Instagram, des témoignages vidéo offusqués au sujet de l’entreprise, qui transporte cinq millions de personnes par jour. «La SNCF est un bout de la France», avait-il coutume de dire, lorsqu’il la dirigeait, pour évoquer ces sautes d’humeur.
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Une carrière dans le secteur des transports publics
L’homme, né il y a 68 ans à Bordeaux, qui a conservé son accent du Sud-ouest et une passion pour le rugby, a accédé à la notoriété à un âge où d’autres aspirent à la tranquillité. Diplômé de l’école des Mines de Paris, il rejoint le secteur des transports dès le début de sa carrière, en occupant notamment le poste de chef de projet lors du lancement du TGV Paris-Lille, en 1993. En 2012, il devient PDG de l’opérateur de transports publics Keolis, filiale de la SNCF, puis prend la suite de Guillaume Pepy à la tête de l’entreprise ferroviaire en 2019.
«Il respecte ses subordonnés», témoigne une cadre qui travaillait chez Keolis dans les années 2010. On reconnaît unanimement au nouveau ministre une sensibilité sociale, bien utile au gouvernement Lecornu II. Un épisode en particulier a marqué les esprits. En mai 2024, il approuve, sans prévenir le gouvernement, un accord interne sur les fins de carrières qui, selon Bercy, revient à contourner la réforme des retraites votée à l’arrachée un an plus tôt. L’objectif, se justifiera-t-il plus tard, consistait à éviter des grèves ferroviaires «terribles pour l’image» de l’entreprise et du pays, alors qu’approchent les Jeux olympiques et paralympiques de Paris. Jean-Pierre Farandou assume : «C’est un bon accord, c’est du progrès social».
L’initiative déclenche une convocation par le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, et coûte son poste au PDG de la SNCF, la décision devant prendre effet après les Jeux. Mais la dissolution de l’Assemblée nationale, les longues périodes sans gouvernement et l’indécision d’Emmanuel Macron auront finalement permis à Jean-Pierre Farandou de se maintenir un an de plus. Ultime vengeance, le cheminot siège désormais à la table du Conseil des ministres, où son meilleur ennemi, Bruno Le Maire n’a pas réussi à revenir, puisqu’il n’est resté membre du gouvernement Lecornu I que 14 heures, du 5 au 6 octobre.
Habilité face aux conflits sociaux
A la SNCF, Jean-Pierre Farandou était un partisan de l’investissement. Il plaidait pour l’achat de trains et la modernisation du réseau. Il était aussi, presque par définition au regard de son poste, respectueux de l’état de droit, implacable à l’égard de la fraude, et habile face aux conflits sociaux. C’est lui qui a mis en œuvre la réforme de l’entreprise votée en 2018, qui se traduit par la fin des embauches au statut de cheminot. Cela ne l’empêche pas de se montrer souriant, voire jovial. En décembre 2022, alors que Strasbourg fêtait son tout nouveau RER métropolitain, Jean-Pierre Farandou célébrait «un jour de fête, un jour de joie».