Reprises familiales : transmettre des valeurs dans le temps
Qu’ils soient vignerons ou informaticiens, les entrepreneurs engagés prennent très au sérieux la transmission de leur société : elle implique de perpétuer – ou pas – les valeurs auxquelles ils tiennent. Témoignages.

«Patrimoine et raison d'être : la transmission des entreprises engagées». Une table ronde était consacrée à ce sujet, le 8 octobre au Salon Produrable à Paris. Vin, systèmes d'information, services d'hospitalité pour les entreprises... Actifs dans trois secteurs différents, trois entrepreneurs ont témoigné de trajectoires comparables. Après un détour dans leur parcours professionnel, ils sont revenus diriger la société fondée par leurs parents. Lesquels avaient déjà inclus une dimension d'engagement dans leur démarche entrepreneuriale. «Mon père avait lancé une démarche RSE il y a dix ans, mais il ne parlait pas de ce patrimoine immatériel qui était totalement intégré dans la famille», relate Morgane Le Breton, co-gérante de Maison viticole éponyme, basée à Montpellier.
La société produit et commercialise un million de bouteilles de vin par an. L'an dernier, les trois enfants ont repris l'entreprise dont ils détiennent les trois quarts du capital, les parents conservant le reste. Thomas Breuzard est co-président de Norsys, entreprise spécialisée dans les systèmes d'information fondée en 1994. Elle emploi 700 développeurs. Thomas poursuit l'aventure de son père, Sylvain Breuzard, initiateur du concept de perma-entreprise (un développement des entreprises s'inspirant de la permaculture). «C'était déjà exemplaire. Mais il fallait de nouveaux dispositifs», commente Thomas Breuzard. Dans le domaine de l'organisation de séminaires d'entreprises dans des lieux repris à dessein, Benjamin Abittan est actuellement directeur général délégué de Chateauform’ (70 sites). Il a repris la société fondée en 1996 par son père : une «communauté humaine» avec un «management familial», décrit-il.
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«L'état de la société me rendait tellement fou que je voulais entreprendre pour que l'économie fonctionne différemment»
A son tour, cette nouvelle génération se préoccupe de la transmission de ses sociétés, vues- aussi - comme le lieu de leur engagement «Cette mission de pouvoir transmettre l'engagement et encourager les entreprises à s'engager, c'est ce qui fait que je me réveille le matin», témoigne Morgane Le Breton. Sur le plan opérationnel, les trois sociétés sont devenues «entreprises à mission», une qualité qui implique de définir une «raison d'être» dépassant des objectifs économiques, qui oblige l'entreprise. Chez Chateauform’, Benjamin Abittan a voulu «formaliser l'engagement qui reposait sur une tradition orale». Le jeune homme a avancé l'argument de la pérennisation du modèle de l'entreprise en cas de changement capitalistique pour convaincre le board.
La démarche de Thomas Breuzard s'inscrit dans une problématique qui dépasse sa seule entreprise. Sa motivation ? A l'origine, ce n'est pas le «métier de l'entreprise». «L'état de la société me rendait tellement fou que je voulais entreprendre pour que l'économie fonctionne différemment», explique celui qui est aujourd'hui co-président du mouvement B corp en France, label progressiste.
Lui a été plus loin, avec la création d'un fonds de dotation aux objectifs philanthropiques rentré au capital de Norsys, dont la famille détient la majorité. L'outil, encore assez peu diffusé en France est couramment utilisé dans le nord de l'Europe ( Steadler, Rolex, Playmobil). La démarche de Thomas Breuzard adresse plusieurs enjeux, dont la gouvernance de Norsys, mais aussi sa transmission. Son dispositif permet de «protéger le patrimoine et donc, protéger l'entreprise d'éventuelles velléités de rachat, par exemple par des géants de nos secteurs qui sont très avides de chiffre d'affaires complémentaire». La transmission est «un enjeu massif. Peut-être que les nouvelles générations qui arrivent, qui semblent parfois un petit peu moins motivées par l'argent que par la résolution des changements sociétaux, vont permettre de préparer le terrain pour que les entreprises soient plus pérennes dans le temps», espère-t-il.