Rencontre avec Rodolphe Delaunay, président de Toyota Motor Manufacturing France (TMMF) à Onnaing

Rodolphe Delaunay conduit TMMF vers un avenir radieux

Alors que le marché automobile français est en panne avec un modèle électrique qui peine à convaincre, Toyota continue de grimper et voit ses ventes s’accélérer. Sur son site d’Onnaing à Valenciennes, le constructeur japonais enregistre des records grâce notamment au pari réussi de son modèle hybride. Aux commandes de TMMF (Toyota Motor Manufacturing France) depuis un an, Rodolphe Delaunay se livre sur sa vision de Toyota pour l’avenir et revient sur son parcours avant de rejoindre le groupe nippon.

Rodolphe Delaunay a pris les rênes du site de Toyota à Onnaing au printemps 2024. © Lena Heleta
Rodolphe Delaunay a pris les rênes du site de Toyota à Onnaing au printemps 2024. © Lena Heleta

D’où vient votre passion pour l’automobile ? Et quel parcours avez-vous suivi pour en faire votre métier ?

Mon père était mécanicien, j’ai démarré là-dedans, j’ai toujours voulu travailler dans le secteur automobile depuis tout petit et c’est ce que j’ai fait. L’automobile, c’est ce qui me fait rêver tous les jours et ce qui me rend heureux. Au début de ma carrière, j’étais chez PSA, et chez PSA les diplômes étaient importants. J’ai fait deux DESS après un DUT, le premier en gestion de production et organisation et le deuxième en ressources humaines. À refaire, je referais exactement les mêmes choix, je ne changerais rien. Le fait d’avoir une compétence dans les RH, ça aide énormément.

Votre carrière débute en 1998. Vous occupez de nombreux postes à la fois chez des équipementiers et des constructeurs. Pouvez-vous revenir sur votre parcours ?

J’ai effectivement démarré en 1998 chez Sevelnord (PSA). Je rejoins ensuite de 2001 à 2010, PSA à Caen en mécanique et plus spécialement, pour tout ce qui était liaisons au sol et transmissions. Puis en 2010 je prends la direction du groupe Michelin en tant que responsable d’activité et ce jusque 2015. Par la suite je deviens directeur du site d’Hodaincourt de Faurecia, fabriquant de pare-chocs. En 2017, j’occupe le poste de directeur du site de Renault au Mans et deux ans plus tard celui de directeur du site à Douai. Puis je rejoins Toyota en 2021, un accomplissement pour moi. 

Si vous deviez citer un événement marquant de votre carrière, ce serait lequel ?

Le plan social que j’ai mené chez Michelin en 2015. C’est marquant et terrible d’annoncer devant 1 000 personnes une restructuration. On voit toute la détresse des gens. C’est quelque chose qui vous marque dans une carrière. Soit vous en ressortez plus grand, soit vous en sortez brisé. Personnellement, ça a eu un effet formateur, j’en suis ressorti plus grand. En ce qui concerne mon passage chez Renault, c’est toujours intéressant de travailler pour un groupe français mais ce qui m’a le plus intéressé pour être honnête, c’est l’alliance avec Nissan et Mitsubishi mais aussi de passer d’un équipementier à un constructeur. 

Qu’est-ce qui vous a motivé dans le projet de rejoindre Toyota en 2021 ?

J’ai toujours baigné dans le toyotisme et quand vous savez qu’une place se libère, vous saisissez l’opportunité. Quoi de mieux qu’être à l’intérieur du temple du système.

«Nous avons la culture japonaise avec la créativité française»


Comment définissez-vous le toyotisme ?

C’est complètement différent par rapport à tous les autres systèmes, ce système est unique. On est vraiment centré sur deux axes : les clients et les hommes. Au travers de ma carrière, j’ai été 3 fois constructeur, 2 fois équipementier pour des groupes d’envergure internationale. Partout où je suis allé, on regardait les coûts d’abord, le budget, on est managés que par ça. À l’inverse chez Toyota, c’est le processus d’abord et on ne parle jamais d’argent, ça ne veut pas dire qu’on ne regarde pas l’aspect financier, mais ce n’est pas ce qui nous manage. Lorsqu’on est une entreprise de processus, le processus amène au résultat, c’est complètement à l’opposé de tout ce qui peut se faire et en plus avec de l’autonomie. Nous sommes une grande entreprise avec l’agilité d’une start-up. La philosophie, c’est rendre la mobilité accessible au plus grand nombre et développer les collaborateurs. On peut rentrer intérimaire et devenir chef de département – comme c’est le cas d’ailleurs pour un collaborateur – , la place de la formation est prépondérante. Je dirai en résumé que nous avons la culture japonaise avec la créativité française.

Vous intégrez Toyota en mars 2021, en tant que sénior vice-président avant de prendre les rênes de TMMF en avril 2024. Où souhaitez-vous emmener l'usine d'Onnaing ?

TMMF va fêter ses 25 ans, mon ambition est d’assurer la pérennité des 20 prochaines années. En tant que chef d’orchestre, je m’assure que tout le monde joue la bonne partition. Toyota c’est 60 usines dans le monde, 380 000 collaborateurs répartis dans 28 pays, ce que je veux c’est faire de l’usine d’Onnaing la référence mondiale du manufacturing. Aujourd’hui, nous sommes la référence européenne.

© Lena Heleta

Quels cap faudrait-il passer justement pour devenir une référence mondiale ?

Nous sommes moins compétitifs que la Turquie ou la République tchèque, on ne peut combattre le coût horaire, mais par contre on a d’autres avantages. Onnaing est un site "une ligne, deux modèles", on est 30% plus petits que la moyenne mondiale mais on a une capacité de produire 300 000 véhicules par an. Donc nous devons renforcer cette compétitivité, optimiser la performance et assurer l’avenir avec les prochains modèles. On construit une voiture en 58 secondes, – record européen ; record mondial 55 secondes – mais ce n’est par le record qu’on cherche, c’est être la référence mondiale : améliorer l’efficacité sur la maintenance, être le plus court possible en livraison, avoir l’absentéisme le plus faible possible et introduire l’IA. Elle doit permettre d’optimiser nos équipements, diminuer l’impact sur les équipements, changer la pièce au bon moment, réduire les pannes, améliorer la qualité mais aussi l’ergonomie des postes de travail.

«Quand on a sorti l’hybride en 2012, tout le monde nous riait au nez»


Comment expliquez-vous le succès de l’hybride ? Et quel est l’avenir de l’électrique selon vous ?

Nous avons la bonne technologie au bon moment. Quand on a sorti l’hybride en 2012, tout le monde nous riait au nez. On a tenu le cap face à des vents contraires, ce n’était pas évident. Mais on ne se laisse pas déstabiliser et gagner par des effets de mode. Avec notre culture japonaise, nous restons très pragmatiques et sereins. Si on avait écouté tout le monde, on aurait fait de l’électrique et on se serait retrouvés au même point que les autres… Car aujourd’hui, fabriquer de l’électrique n’est pas rentable et la demande ne suit pas. Le plus important c’est le client, et le client n’est pas encore 100% électrique car il y a encore le problème du prix, de l’autonomie et des infrastructures donc pour l’instant l’électrique c’est prématuré. Actuellement, la bonne réponse c’est le mix que l’on a, c’est-à-dire l’hybride. C’est pour cela que Toyota est en forte croissance. L’électrique va se développer mais pas dans l’immédiat. L’échéance, c’est 2035 mais entre maintenant et 2035, il se passe dix ans. D’un point de vue industriel c’est court, mais sur l’échelle temporelle pour un consommateur, c’est long.

Craignez-vous l’essor des marques chinoises déjà bien installées sur le marché européen ?

Elles ont tout compris car elles maîtrisent la chaîne de valeur c’est à dire les composants électroniques, les batteries, les procédés pour fabriquer les batteries. Aujourd’hui, la batterie représente entre 30 à 40% du prix de la voiture ; eux maîtrisent tout ça. Mais ça ne me fait pas peur. Certes la menace est là mais la compétition est saine. A nous de continuer à avancer, d’avoir des voitures qui soient accessibles. TMMF est au cœur de l’Europe, nous sommes idéalement placés pour nos trois principaux marchés : l’Italie, la France et l’Angleterre.

Après une année 2024 exceptionnelle marquée par le record de production, le 5 millionième véhicule produit et la motorisation 100% hybride, quelle est votre feuille de route 2025 ?

Construire un vrai projet d’entreprise social et industriel qu’on présentera au Japon et dans lequel tous les salariés doivent s’y retrouver. On a battu des records en 2024, en 2025, on va consolider nos résultats et préparer l’avenir. Il faut bâtir les fondations pour un prochain cycle : 2035. Côté production à Onnaing, nos deux modèles actuels correspondent bien au marché européen. La philosophie c’est de rester sur ces deux modèles qui marchent bien et faire du volume.

Vous disposez d’une réserve foncière importante sur le site d’Onnaing. Qu’allez-vous faire de cette surface ?

C’est une richesse ! Cette réserve foncière, il va falloir la valoriser. C’est comme si on avait de la surface constructible en plein Paris, ça n’a pas de prix. D’ailleurs tout le monde veut la racheter (rires). On peut imaginer plein de choses : ça peut être pour de la production, de l’hydrogène, de la batterie, un parc fournisseur, une deuxième usine… Tout est possible mais rien n’est arrêté.

Etes-vous confiant en l’avenir de Toyota ?

La stratégie est la même depuis les années 30 : garantir la mobilité au plus grand nombre. Malgré les crises, Toyota s’est toujours développé. Pourquoi ? Car le système est plus fort que l’homme. Dans certains groupes, si le CEO change, tout est bouleversé. Ici la vision ne change pas et c’est ça qui est exceptionnel. Ce n’est pas Rodolphe qui fait TMMF, l’entreprise continuera d'avancer sans moi.

© Lena Heleta

L’usine Toyota d’Onnaing en chiffres

- 5 000 collaborateurs
- 300 000 voitures produites par an
- 1 voiture toutes les 58 secondes
- 5 millions de véhicules produits depuis l’ouverture de l’usine en 2001