Santé des dirigeants : vers la fin d’un tabou ?
Les dirigeants continuent à avoir du mal à prendre soin d'eux-même. Faire évoluer les mentalités, voler au secours de ceux qui s'approchent du suicide...Un écosystème se mobilise, ont montré les récentes Assises du rebond.
Un tabou du monde entrepreneurial se lèverait-il ? Une table ronde était consacrée à « Rebond et santé : prévenir le pire et préserver le meilleur », le 27 octobre dernier, lors de la 4ème édition des Assises du rebond, à Paris. Ces dernières sont organisées par le Portail du rebond des entrepreneurs, groupement d'intérêt associatif réunissant plusieurs associations qui souhaitent aider les entrepreneurs en difficulté. Premier constat, « quand on s'intéresse à la santé des entrepreneurs, chez les hommes comme chez les femmes, la phrase qu'on entend le plus, c'est : je n'ai pas le temps d'être malade. Certains vont jusqu'à dire : je n'ai pas le droit d'être malade », avance Olivier Torrès, fondateur de l'Observatoire Amarok, en 2009, pionnier dans l'étude de la santé physique et mentale des TNS, Travailleurs non salariés.
Les intervenants de la table ronde sont unanimes : les questions du rebond – qui suppose celles de l'échec – et de la santé des dirigeants constituent des sujets sur lesquels les tabous ont du mal à tomber (auprès des intéressés eux-mêmes). « Un tiers des entrepreneurs déclarent qu'ils ne vont pas chez le médecin car ils n'ont pas le temps », confirme Sylvie Bonello, déléguée générale de la fondation MMA des entrepreneurs du futur. Cette dernière, impliquée sur ces thématiques, revendique notamment de contribuer à « lever des tabous » par la communication. Son baromètre annuel de la santé des entrepreneurs, très complet, aborde des sujets pesants comme les addictions. D'après les réponses données dans l'édition 2024, les dirigeants mènent une vie particulièrement saine. Par exemple, 5% d'entre eux seulement admettent prendre des médicaments contre l’anxiété et la dépression (anxiolytique somnifère antidépresseurs), contre 21% des Français. Et 21% se déclarent fumeurs, un taux similaire à la tendance nationale. Pour les intervenants de la table ronde, une conception du leadership liée à l'invulnérabilité sous-tend cette mentalité générale qui veut que les dirigeants n'aient pas le droit à la moindre faiblesse. Toutefois, « j'ai le sentiment que les choses changent. Nous travaillons beaucoup avec des réseaux de jeunes entrepreneurs, et la conception du leadership évolue. La parole commence à se libérer. Les jeunes sont plus à l'aise avec le sujet de l'échec et du rebond ».
« Il faut aller le chercher avec des messages, des SMS »
Ce n'est pas le cas de tout le monde. Souvent, quand le dirigeant « arrive à un stade où il ne répond plus au téléphone, il est submergé de courriers pas très glamour... Donc il faut aller le chercher avec des messages, avec des SMS, etc., pour arriver à le toucher, à le contacter... », décrit Joëlle Lellouche qui prend la parole pour l'Apesa, Aide psychologique aux entrepreneurs en souffrance aiguë. L'association intervient pour essayer d'éviter que des patrons désespérés ne mettent fin à leurs jours. Elle a été fondée en 2013 par Jean-Luc Douillard, psychologue clinicien et Marc Binnie, greffier au tribunal de commerce de Saintes (Charente-Maritime). Ils avaient constaté la détresse psychologique des patrons dont la société subit des difficultés financières. « Nous avons deux piliers, un réseau de psychologues et un réseau de sentinelles qui gravitent autour du chef d'entreprise et qui peuvent détecter son mal-être », précise Joëlle Lellouche. Les 6 000 sentinelles ont toutes été formées par des psychologues. Et chacun des membres de l'écosystème du chef d'entreprise peut devenir une sentinelle : le conjoint, l'expert comptable, les membres du tribunal de commerce ou des réseaux de CMA et des CCI, des réseaux patronaux, des fédérations de métiers... Dès qu'une sentinelle tire la sonnette d'alarme, le réseau intervient avec un psychologue, dans le cadre d'une démarche qui demeure confidentielle . « Nous allons voir s'il a besoin d'un accompagnement et nous offrons une à cinq séances », complète Joëlle Lellouche.
D'autres chefs d'entreprise arrivent dans le cabinet d'un psychologue par un autre biais. L'Observatoire Amarok a mis au point un outil destiné à prévenir les risques et promouvoir la bonne santé et le bien-être au travail des TNS. Le dispositif, gratuit et confidentiel, est déployé avec les services de santé au travail. Il s'agit d'un questionnaire sur l'état du dirigeant proposé en ligne. Basé sur deux indicateurs, un « stressomètre » et un « satisfactomètre », il permet d'évaluer le risque de burn-out. Les dirigeants inquiets du résultat peuvent saisir la « main tendue » prévue par le dispositif. Elle leur permet de sortir de l'anonymat pour rentrer en contact avec un psychologue. Jean-Marie Estève, vice-président de l'Observatoire Amarok, constate des pics de demandes de mise en relation à des dates bien précises : le 15 avril, le 15 juillet et 15 octobre, proches d'échéances fiscales.