Entreprises
Transmission d'entreprises, un marché complexe
Une table ronde était consacrée à la transmission d'entreprises, juste après la publication du rapport de Cour des Comptes sur le Pacte Dutreil. Enjeu crucial selon les intervenants, ce dernier est loin d'être le seul en matière de reprise d'entreprises. Sur ce marché, les blocages sont nombreux.
Trouver une entreprise à reprendre, transmettre la sienne en famille... Enjeu macroéconomique majeur, le phénomène de la transmission des entreprises comporte de multiples facettes, parfois très distantes les unes des autres. C'est ce qu'ont montré des témoignages lors d'une table-ronde consacrée au sujet, organisée par l'AJPME, Association des journalistes spécialisés dans les PME, le 20 novembre, à Paris. Vu du côté des potentiels repreneurs, la démarche n'a rien d'évident. « En trois ans, j'ai vu 300 dossiers. C'est presque un métier », a témoigné Sophie Tréhoret. Cette professionnelle de la mode a travaillé 15 ans comme directrice marketing chez Repetto, prestigieuse marque de chaussures, puis participé au démarrage d'une start-up avant de se lancer dans le repreneuriat. Elle s'est heurtée à de nombreuses difficultés. « La moitié des dossiers ne correspondait pas aux critères financiers, le fait de monter un LBO et me verser un salaire », explique-t-elle. Pour le reste, elle s'est vue proposer des dossiers qui ne répondaient pas à ses aspirations et ses compétences (comme une entreprise de sous-traitance...), des sociétés « en fin de course », ou au modèle économique fragile, « mono-client »... A ces déconvenues se sont ajoutées des déceptions à un stade plus avancé. Sophie Tréhoret a rédigé six lettres d'intention d'achat. Au fur et à mesure de ses recherches, elle a élargi ses paramètres ( géographiques, type d'entreprise et de montage financier... ). « Mais je souhaite rester sur mon cœur de métier. Le souci, c'est que c'est ce dont tout le monde rêve », souligne-t-elle. Ce qui lui a manqué ? « La chance », répond du tac au tac l'aspirante repreneuse qui vient de décider de se faire accompagner par la CCI.
Sophie Tréhoret est loin d'être la seule à connaître des difficultés : le marché de la reprise d'entreprise est connu pour ses blocages. « Les constats sont toujours un peu les mêmes. Le premier, c'est celui d'une structuration insuffisante du marché », souligne Marc Canaple, responsable du pôle droit et économie de l’entreprise à la CCI Paris Île-de-France. Cette dernière vient de réaliser une étude, suite à la mission gouvernementale « Reprise » de juillet 2025. Le constat : un marché « diffus et informel »; des offres d’accompagnement pléthoriques et disparates selon les territoires. Autres blocages identifiés : la complexité juridique et sociale des transmissions, le défaut d’anticipation des dirigeants cédants.
Indispensable Dutreil ?
Clairement, ce n'est pas le cas d'Olivier Brière, directeur général de Broquet, PME fabriquant des pompes (Val d'Oise). A 56 ans, celui qui représente la quatrième génération de cette entreprise familiale se prépare à laisser la place à deux de ses fils, en s'appuyant sur un family office pour l'élaboration du projet familial. « Nous nous y prenons à l'avance, car j'estime qu'il faut entre cinq et 10 ans pour que la transmission soit faite correctement au niveau des savoirs nécessaires », témoigne l'entrepreneur. Lui-même, avant de reprendre, avait passé une vingtaine d'années à regrouper des parts de l'entreprise disséminées dans la famille avant d'ensuite racheter les siennes à son père, dirigeant majoritaire. «S'il n'y avait pas eu le pacte Dutreil, cela aurait été très compliqué. En effet, il aurait fallu entre huit et 10 ans de l'intégralité des résultats de l'entreprise pour financer la reprise. Cela veut dire plus d'investissement. L'industrie sans investissement, c'est inconcevable », précise Olivier Brière qui espère bien pouvoir utiliser ce même outil fiscal pour transmettre la société à ses fils et s'inscrit en faux contre les conclusions de la Cour des Comptes qui vient – deux jours plus tôt - d'appeler à une réforme du dispositif.
Pour l'entrepreneur, une dimension du « Dutreil » n'est pas suffisamment prise en compte dans les évaluations actuelles : la différence de stratégie, en matière d'investissements, entre un entrepreneur qui veut vendre et celui qui veut transmettre dans le cadre familial. Dans ce dernier cas, « à 55 ans, vous êtes toujours dans une logique et une stratégie de développement de votre entreprise », explique Olivier Brière. A contrario, celui qui qui veut vendre sa société a avant tout intérêt à faire en sorte que « la mariée soit belle », note l'entrepreneur, à favoriser la trésorerie plutôt que l'investissement (et encore moins un éventuel endettement) . « Ce phénomène se mesure statistiquement », confirme Alain Tourdjman , économiste, fondateur du cabinet ALTC Études. « Dans les PME d'une taille suffisante, au delà de 20 salariés, lorsque le dirigeant passe la barre des 55 à 60 ans, on constate souvent une baisse de l'endettement très significative, une réduction nette de l'investissement et un ralentissement de la dynamique de croissance. Dans le cas d'une transmission familiale, cette rupture n'existe quasiment pas », explique-t-il. Depuis 2017, en dépit du rebond post Covid, les transmissions d'entreprises familiales ont diminué de 22% pour atteindre 11 538 en 2024, selon ALTC Études.
370 000 entreprises à reprendre
Dans les cinq prochaines années, 310 000 TPE, 58 000 PME et 1 200 ETI, seront à reprendre, soit environ 3 millions d'emplois potentiellement concernés. Or, en maintenant le volume de transmissions actuel, seules 130 000 TPE-PME-ETI seraient effectivement transmises dans ce laps de temps. 80 % des dirigeants indiquent qu'ils souhaitent rester plus longtemps à la tête de leur entreprise s'ils ne parviennent pas à transmettre à l'horizon visé, et 28 % n'ont d'ailleurs pas encore commencé à réfléchir à leur transmission, d'après une étude de Bpifrance le Lab, publiée le 25 novembre.