Désinformation climatique : la tech, remède et poison
Dans les médias et réseaux sociaux, la désinformation concernant le changement climatique explose. Les technologies la servent mais peuvent aussi la combattre. A condition qu'il existe une volonté politique.
Le sujet est brûlant : « comment l'innovation technologique permet-elle de prévenir et de lutter contre la désinformation climatique ? » questionnait une table ronde dans le cadre du Meet -up Greentech, rendez-vous annuel d'échanges du secteur, le 22 octobre, à Paris. A la base, un constat : cette désinformation croît fortement. Dans les médias audiovisuels français, elle a triplé à l’été 2025 par rapport au début d’année, d'après un rapport publié en octobre par Data for Good, QuotaClimat et Science Feedback, trois associations engagées dans ce domaine. Entre janvier et août 2025, l’étude comptabilise 529 cas de « mésinformation »(définie comme des informations qui sont fausses sans nécessairement avoir la volonté de nuire) , qui nourrissent des propos faux comme le fait que les données sur l'ampleur du changement climatique sont falsifiées, ou que les ENR, énergies renouvelables variables font exploser le prix de l'énergie .
Sur les réseaux sociaux, la situation est pire encore. Par exemple, les posts climato-sceptiques ont augmenté de 43% sur Youtube entre 2021 et 2024, d'après Quota climat. Et selon European digital media observatory, instance de veille, en Europe, en décembre 2024, le thème du changement climatique concentrait 13% de la désinformation à lui tout seul. Le philosophe Bernard Stiegler, se référant à Platon, rappelait que toute technologie est un « pharmakon », à la fois remède et poison. Ainsi, « nous regardons surtout qui développe, qui déploie et qui contrôle la technologie », explique Camille Grenier, directeur exécutif du Forum sur l'information et la démocratie, ONG engagée pour une information libre et fiable. Or, poursuit-il, « les entités qui structurent notre espace informationnel », à savoir les plateformes numériques sont devenues « non seulement des vecteurs de désinformation, mais aussi des acteurs de la désinformation en utilisant les algorithmes qui la promeuvent sur beaucoup de sujets, dont les enjeux climatiques, mais aussi ceux de la biodiversité ».
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L'IA pour prévenir les pics de désinformation
Les technologies peuvent aussi faire office de « remède » pour lutter contre la désinformation en matière de changement climatique, illustre la démarche des associations militantes. Ainsi, leur rapport publié en octobre s'appuie sur une combinaison d’IA, intelligence artificielle et de vérifications réalisées par des humains. Cet état des lieux était indispensable, pointe Eva Morel, secrétaire générale de QuotaClimat, mobilisée sur le traitement du sujet du climat dans les médias. « Pour lutter contre la désinformation que l'on constatait dans l'audiovisuel et dans la presse, nous avions besoin de données objectivées pour aller voir les décideurs », explique-t-elle.
En outre, une connaissance fine du phénomène permet d'identifier des leviers d'action utiles. Par exemple : prévenir et former les journalistes très exposés en amont de pics de désinformation avérés et prévisibles (comme sur les canicules). Les technologies – et en particulier l'IA, permettent aussi de lutter contre la désinformation en contribuant à l'élaboration d'une meilleure information. Développé par Ekimetrics, société spécialisée dans l'élaboration de solutions d'IA sur mesure, Spinoza est un outil destiné aux éditeurs et journalistes. Il leur permet d'accéder, sous une forme intelligible, à une grande quantité d'informations sur les sujets environnementaux -parfois très complexes – provenant exclusivement de sources fiables ( comme les rapports du GIEC, Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, ou certains titres de presse... ). Autre projet qui va dans le même sens : FactCRICIS (Réponse Européenne de vérification des faits dans les crises climatiques), cofinancé par l’Union européenne. Universités, agences de presse, et Science Feedback, association engagée pour la crédibilité des informations liées à la science dans les médias et sur les réseaux sociaux, contribuent au projet.
La réponse politique
Pour Eva Morel, la technologie apporte une « capacité de diagnostic indispensable pour avoir une réaction proportionnée » à la désinformation. Reste que le choix de la « réaction » revient au politique. En France, l'ARCOM, l’Autorité de régulation audiovisuelle et numérique, qui veille sur l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information et des programmes, a par exemple sanctionné Cnews, en 2024 ( 20 000 euros ). Lors d'une émission, un intervenant avait qualifié de « mensonge » le lien entre réchauffement climatique et activité humaine, sans qu'une contradiction ne lui soit apportée. L'autorité a estimé que l 'éditeur n'avait pas rempli ses obligations, la chaîne ayant manqué de rigueur et de démarche contradictoire dans son traitement du sujet. Cette sévérité demeure exceptionnelle. Pour Eva Morel, « les sanctions ne sont pas assez appliquées ».
Côté réseaux sociaux, « il faut sortir d'une espèce de naïveté sur la manière dont nous gérons nos espaces informationnels », estime Camille Grenier. Mais il reste prudent sur les solutions à apporter. Éradiquer la désinformation ? « au mieux, cela ne marche pas, au pire, c'est utilisé par les régimes autoritaires pour mettre en taule journalistes et activistes », met-il en garde. Lui plaide pour combattre la désinformation par le renforcement de l'information fiable. Par exemple, l'association Reporters sans frontières travaille à élaborer des standards qui permettront d'identifier les sources dont les processus de production sont fiables.
L'ensemble des intervenants constatent que l'enjeu de la désinformation est mondial. Tous espèrent que la COP 30 sur les changements climatiques organisée par l'ONU au Brésil, à Belém, du 10 au 21 novembre, marque une étape. Le sujet de la désinformation y sera abordé et les États pourraient y prendre des engagements.