L’urbanisation des sols progresse moins qu’avant
Les chiffres publiés par les Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer) pour 2024 confirment un ralentissement de l’urbanisation. Cette tendance contraste avec la volonté du Sénat d’assouplir encore l’objectif de zéro artificialisation nette (Zan).

La France, grand pays agricole, c’est de plus en plus un lointain souvenir. La diminution du nombre d’agriculteurs, 1,5% de la population active en 2020, se poursuit presque sans interruption depuis les années 1980. Désormais, c’est la terre elle-même qui pourrait ne pas rester majoritairement dévolue à l’agriculture. En 40 ans, selon une enquête sur l’artificialisation des sols effectuée tous les ans par le ministère de l’Agriculture, la part des sols agricoles sur le territoire français a baissé de plus de quatre points, seulement 50,4% en 2022, contre 54,8% en 1982. Pendant la même période, les espaces naturels ont légèrement progressé, de 39,5% à 40,1%. Et les sols artificialisés ont bondi, de 5,7% à 9,5%. La part des sols bâtis, 1,5% en 2022, contre 0,7% en 1982, peut sembler faible, mais les bâtiments ne sont jamais construits seuls : les sols revêtus ou stabilisés forment 4,3% du territoire hexagonal (2,8% en 1982), et les sols enherbés ou nus, mais tout de même artificialisés, 3,7% (2,2% en 1982).
Ces chiffres font réagir le président de la Fédération nationale des Safer (Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural), Emmanuel Hyest, par ailleurs exploitant agricole dans l’Eure. «Les surfaces agricoles ne cessent de diminuer en France, alors que la population, et donc les besoins alimentaires, augmentent», estime-t-il, à l’occasion de la récente publication, par la Fédération, des prix des terres pour 2024. «Le foncier est une ressource non renouvelable», rappelle Emmanuel Hyest. Une ressource qui suscite de fortes convoitises, pour «compenser les atteintes à la biodiversité», faciliter «les implantations économiques» ou répondre à la demande de logements.
Alors que la population française a crû de 21% en 40 ans, le nombre de logements a progressé de 53% et leur taille moyenne est passée de 3,6 pièces en 1982 à 4,0 pièces en 2021. Le foncier est en outre mobilisé, souligne l’agriculteur, pour «produire une énergie décarbonée en implantant des parcs photovoltaïques», ainsi que «pour des usages de loisirs, ou pire encore, pour des détournements comme la cabanisation ou le mitage», la construction en pleine nature de logements destinés à servir de résidences secondaires.
Un marché disparate
L’alerte des Safer, récurrente, serait-elle entendue ? Les chiffres publiés de 2024 confirment une baisse sensible de l’urbanisation. Le nombre de transactions concernant des terrains destinés à être urbanisés est inférieur à 15 000, alors qu’il culminait à plus de 40 000 en 2021. En surface, cela correspond à 10 000 hectares, soit la superficie de Paris. En 2021, la surface urbanisée atteignait presque 35 000 hectares, un dixième du département du Vaucluse ou du Haut-Rhin.
Ce ralentissement remarquable de l’urbanisation souligne, en creux, les errements du Sénat, qui a voté en mars une proposition de loi remettant en question les objectifs de réduction de l’artificialisation nette. «De nouveaux modèles de développement économes en foncier commencent à s’imposer dans l’esprit des élus locaux», souligne Emmanuel Hyest, en soutenant qu’il faut «maintenir le cap, rester fermes». L’enjeu dépasse de loin le sort de l’agriculture, et concerne aussi «la souveraineté alimentaire, le maintien de la biodiversité, le stockage du carbone ou encore la gestion des crues».
En 2024, les marchés fonciers ont connu une évolution «contrastée», relèvent par ailleurs les Safer. Le nombre de transactions s’établit à 318 000, en baisse de 3,7%, pour une superficie totale de 678 000 hectares et un montant de 34,8 milliards d’euros, également en baisse, de 4,7%. Mais les échanges de sols agricoles constituent davantage une juxtaposition de marchés disparates qu’un ensemble homogène. En superficie, le marché des «terres et prés», à vocation de culture ou d’élevage, représente 63% du total, mais seulement 31% du nombre de transactions et 18% de la valeur échangée. A l’inverse, les «maisons à la campagne», définies comme des résidences principales ou secondaires, vendues avec un terrain à des non agriculteurs, ne comptent que pour 7% de la surface des échanges en 2024, mais pour 29% des transactions et 63% de leur valeur. Ces biens «se stabilisent après deux années de repli», à la faveur de la baisse des taux d’intérêt, observent les Safer. Les transactions sont en hausse de 3,4%, mais les prix stagnent.
Depuis 2019, année de référence antérieure à la pandémie, la progression des transactions a surtout concerné les départements au nord et à l’est du Bassin parisien, et dans une moindre mesure du Massif central. Les «terres et prés» enregistrent en revanche un net repli, de 6% en nombre de transactions et de 17% en valeur. Seuls les biens acquis par les sociétés d’exploitation agricole ou de portage du foncier, des modes désormais répandus, progressent nettement.
La Fnsafer se penche aussi sur le marché des forêts, qui connaît une certaine reprise, notamment en surface échangée. Les prix sont «tirés vers le haut par les grands massifs» et atteignent «un niveau inédit» dans le Bassin parisien, le nord du pays et l’ouest.
Enfin, le prix des vignes (3% du total environ, en nombre de transactions, en surface comme en valeur) est en légère baisse. Celle-ci est marquée, en valeur, dans le Bordelais, et, en nombre de transactions, dans le Val-de-Loire. La Bourgogne, le Beaujolais, la Savoie et le Jura s’en tirent mieux.