Santé mentale des salariés : un état de détresse qui perdure
Le 14e baromètre consacré à la santé psychologique des salariés, réalisé par le cabinet Empreinte Humaine en partenariat avec OpinionWay, révèle une situation toujours préoccupante, voire chronique. Malgré une certaine stabilisation des indicateurs, la souffrance psychologique des salariés français reste fortement ancrée dans le quotidien professionnel. Un signal d’alarme que les directions RH ne peuvent plus ignorer, d’autant qu’elles sont elles-mêmes mises sous pression.

Près d’un salarié sur deux (45 %) déclare être en détresse psychologique, dont 13 % à un niveau élevé, avec un tiers en situation de burn-out. Ces chiffres, en légère hausse par rapport à juillet 2024, témoignent d’une tension persistante. Parmi les publics les plus affectés, les femmes (52 %), les 30-39 ans (54 %) et les employés (53 %). Derrière ces données, se dessine une réalité préoccupante : l’exposition prolongée au mal-être au travail, depuis maintenant plus de cinq ans, produit des effets délétères, comparables à ceux d’une intensité aiguë. «Les indicateurs de santé mentale au travail que nous suivons restent constants et malheureusement très dégradés. Cette durée et chronicité d’exposition (depuis 5 ans) a autant d’impact que l’intensité de cette exposition », signale Christophe Nguyen, président d’Empreinte Humaine et psychologue du travail. En l’absence de politique de prévention efficace, la situation risque de s’enraciner durablement, avec un impact direct sur l’absentéisme et les arrêts maladie pour motifs psychologiques, prévient-il.
L’individualisme,
un facteur aggravant sous-estimé
Le
baromètre met en lumière un phénomène en forte progression :
l’individualisme au travail. Perçu par 60 % des salariés et 70 %
des cadres, il augmente de 1,6 fois le risque de détresse
psychologique. Pression sur les résultats individuels, compétition
entre collègues et manque de reconnaissance collective apparaissent
comme les principaux moteurs de ce mal-être. Contrairement à
certaines idées reçues, le télétravail n’est pas le principal
responsable : seuls 14 % des salariés font le lien entre ce
mode d’organisation et l’essor de l’individualisme. Ce sont
avant tout les pratiques managériales valorisant la performance
individuelle, au détriment du collectif, qui posent problème.
Des
causes majoritairement internes à l’entreprise
Si le contexte international ou sociétal peut jouer un rôle, comme le suggère l’effet perçu du retour de Donald Trump sur la libération de comportements intolérants en entreprise (34 % des salariés évoquent ce phénomène), ce sont surtout les conditions internes qui pèsent sur la santé mentale des collaborateurs. Pour Christophe Nguyen, si les facteurs exogènes n’ont pas d’impact sur la santé mentale, « toutefois, l’arrivée de Trump crée des risques supplémentaires sur la santé mentale en renforçant l’expression d’une plus grande intolérance au travail (sexisme, racisme etc…). Ce n’est pas tant l’environnement international qui agit directement sur la santé mentale que ses conséquences concrètes dans le quotidien des salariés », affirme-t-il. Environnement de travail, organisation, culture managériale : les leviers d’action sont entre les mains des entreprises.
Les
RH au cœur du dispositif, mais en souffrance aussi
Les
professionnels RH sont en première ligne, à la fois en tant que
témoins et en tant qu’acteurs de cette crise. Trois quarts d’entre
eux doivent gérer régulièrement des situations personnelles
difficiles (problèmes sociaux, familiaux, etc.), et 70 % constatent
une hausse des cas de burn-out dans leur structure. Pourtant, seuls
20 % estiment que leur fonction est pleinement exemplaire en matière
de prévention des risques psychosociaux (RPS). Plus inquiétant
encore : 90 % des RH se disent davantage en réaction qu’en
prévention face aux problématiques de santé mentale. Faute de
moyens ou de vision stratégique, seule la moitié des entreprises
réalisent
un diagnostic régulier des RPS, et à peine un tiers des
salariés perçoivent une réelle politique de prévention dans leur
entreprise.
Repenser
le rôle des RH et des managers
Ces constats doivent inciter les DRH à réinterroger en profondeur les dispositifs existants : dispositifs de soutien psychologique, politiques de reconnaissance, formation des managers à l’intelligence émotionnelle, renforcement du collectif… Il ne s’agit plus simplement de « gérer les risques », mais de rétablir des conditions de travail favorables à la santé mentale. Comme le souligne Christophe Nguyen, « c’est bien sur l’environnement de travail qu’il faut agir. » Car la santé mentale n’est pas un sujet périphérique : elle est aujourd’hui un enjeu stratégique de performance, de fidélisation et d’attractivité des talents.
* Sondage Opinion Way pour Empreinte Humaine, réalisé entre le 27 février et le 18 mars 2025, auprès de 2 030 salariés et 308 responsables RHée en mars 2025 en ligne auprès de 2 000 cadres dont 490 cadres seniors de 55 ans et plus et téléphonique réalisée auprès de 1 002 entreprises employant au moins un cadre