RH
Violences sexistes et sexuelles : un enjeu devenu incontournable pour les RH
Alors que les violences sexistes et sexuelles s’expriment encore largement dans les organisations, les directions RH se retrouvent au premier plan pour les identifier, les prévenir et protéger les collaborateurs. Mais entre banalisation des faits, culture du silence et manque de formation, la prise en charge reste souvent insuffisante.
Dans les entreprises, les violences sexistes et sexuelles (VSS) traversent les collectifs de travail, affectent les trajectoires professionnelles et exposent les organisations à des risques sociaux, juridiques et réputationnels. Lors d’un webinaire organisé par Parlons RH, la psychologue clinicienne et directrice de Projets chez Qualisocial, Justine Paternoster a rappelé l’ampleur du phénomène et les responsabilités qui pèsent sur les directions RH. « Huit femmes sur dix disent avoir été confrontées à des attitudes sexistes au travail », souligne-t-elle d’emblée, rappelant que les femmes restent les premières victimes.
Nommer les faits pour lever la banalisation du sexisme ordinaire
Avant de pouvoir agir, encore faut-il nommer les faits. Or l’identification constitue un premier obstacle. « Il y a beaucoup de mécanismes de minimisation et de banalisation. On assiste à des agissements sexistes sans les reconnaître comme tels », explique Justine Paternoster. Les « blagues », réflexions ou remarques sur l’apparence, les compétences supposées ou le rôle d’une personne selon son sexe restent très fréquentes. « Ces actes sont tellement banalisés qu’ils en deviennent ordinaires. C’est pour cela qu’on parle de sexisme ordinaire », décrit-elle. Une banalisation qui brouille la frontière entre comportements acceptables et actes constitutifs de VSS. La loi fournit pourtant un repère clair : l’agissement sexiste recouvre « tout acte ou comportement lié au sexe d’une personne, qui porte atteinte à sa dignité ou crée un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ». Les violences sexistes ou sexuelles, elles, correspondent à « toutes les situations où une personne impose à une autre un comportement ou un propos à caractère sexuel non désiré ». Dans ce cadre, la notion de consentement est centrale : « Il doit être explicite, libre et éclairé. Dans le travail, avec le rapport hiérarchique, il peut ne plus l’être », insiste la psychologue.
Si ces comportements persistent, c’est autant à cause des stéréotypes et de la culture du silence que du manque de préparation des encadrants. « On peut avoir peur de ne pas être cru, peur de parler, ou même se demander si le problème ne vient pas de soi », constate Justine Paternoster. À cela s’ajoute un frein souvent observé : « Parfois, on ne sait pas comment traiter ce sujet sensible. On a peur de mal faire et donc on ne fait pas ». Une inaction qui, selon elle, « crée un effet boule de neige et une bombe à retardement ». Les impacts, eux, sont massifs. Sur le collectif, d’abord : climat dégradé, perte de confiance, tensions, absentéisme, turnover. « Les violences sexistes et sexuelles touchent au sentiment de sécurité au travail », rappelle-t-elle. Sur l’individu, ensuite : stress chronique, perte de mémoire, difficultés de concentration, repli sur soi ou troubles du sommeil. Et les répercussions débordent largement le cadre professionnel : « Ça peut réactiver des violences vécues dans la sphère personnelle ».
Former, écouter, agir : le rôle déterminant des RH et managers
Face à ces enjeux, quel rôle pour la fonction RH et les managers ? « La première chose, c’est de réagir. Tout propos vaut la peine d’être exploré », insiste Justine Paternoster. Accueillir la parole, ne jamais minimiser, structurer une prise en charge : les fondamentaux sont clairs. Elle rappelle cependant qu’un responsable RH ne peut porter seul ce type de situations. « C’est lourd pour la personne qui écoute. Il faut un cercle restreint, confidentiel, avec par exemple le référent harcèlement, obligatoire dans les entreprises de plus de 250 salariés, un représentant du personnel pour croiser les regards et ne pas rester seul ».
Prévenir ces VSS suppose une stratégie construite et continue. « Aujourd’hui, on est encore beaucoup dans une logique de réaction, pas de prévention », observe la psychologue qui ajoute que 27% des salariés sont insatisfaits de l’action de leur entreprise face à ces violences. La formation constitue un socle indispensable pour apprendre à identifier les signaux, écouter sans juger et conduire des enquêtes internes. La communication interne joue aussi un rôle déterminant. « La direction doit incarner une politique de tolérance zéro. Ce n’est pas un tabou de dire que les valeurs de respect et d’égalité sont centrales », rappelle-t-elle. Encore faut-il les incarner : l’exemplarité de la direction reste un marqueur essentiel.
Autre levier clé : disposer d’un canal de signalement clair, confidentiel et accessible. « Quand on a vécu des violences sexistes ou sexuelles, l’une des premières questions, c’est : j’en parle à qui ? J’en parle comment ? » Car pour l’heure, « deux femmes sur trois ne savent pas vers qui se tourner, en cas d’acte sexiste ». Un dispositif lisible, expliqué et garanti permet de sécuriser la démarche et d’éviter que les situations ne s’enlisent. En cas de signalement, l’écoute constitue la première étape. « Il faut accueillir la personne sans jugement, recueillir son témoignage et l’aider à factualiser de manière confidentielle », détaille Justine Paternoster. L’enquête, ensuite, doit être menée « avec rigueur et neutralité », en entendant témoins et personnes mises en cause, avant d’agir ou de sanctionner « avec cohérence ». Pour les équipes RH et les dirigeants, la gestion des VSS n’est plus une simple obligation réglementaire, mais un sujet qui touche au cœur du fonctionnement collectif, à la confiance interne, à la capacité d’attirer et de retenir les talents.