Modalités de décompte du temps de travail effectif : des précisions utiles du Conseil d’Etat
Dans une décision du 17 avril dernier, le Conseil d’Etat a apporté d’importantes précisions sur les modalités permettant à un employeur de décompter le temps de travail effectif de ses salariés lorsque ceux-ci ne travaillent pas selon le même horaire collectif de travail affiché.

Le
principe du décompte du temps de travail
On
le sait, la législation en matière de temps de travail est souvent
difficile à appréhender. La difficulté est accrue, en pratique,
lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne
travaillent pas selon le même horaire collectif. Dans
ce cas, l'article L. 3171-2 du Code du travail prévoit que
« l'employeur établit les documents nécessaires au
décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et
de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés ».
Le décompte du temps de travail doit donc être individualisé et
l’employeur doit prévoir un suivi matériel de ce décompte.
L'article
D. 3171-8 du même code est même plus précis encore puisque
dans ce même cas, « la durée du travail de chaque salarié
concerné est décomptée selon les modalités suivantes : 1°
Quotidiennement, par enregistrement, selon tous moyens, des heures de
début et de fin de chaque période de travail ou par le relevé du
nombre d'heures de travail accomplies ; 2° Chaque semaine, par
récapitulation, selon tous moyens, du nombre d'heures de travail
accomplies par chaque salarié ».
A
cet égard, le Conseil d’Etat avait déjà jugé que :
« Lorsque le travail de tous les salariés d'un même service
ou atelier ou d'une même équipe est organisé selon le même
horaire collectif par l'employeur (…), il doit informer les
salariés par affichage des heures auxquelles commence et finit
chaque période de travail et adresser, avant son application, le
double de cet horaire collectif à l'inspection du travail. Dans les
autres cas, un décompte des heures accomplies par chaque salarié
doit être établi quotidiennement et chaque semaine » (CE,
1er
février 2023, n°
457116, B).
Amende
administrative en cas de violation du principe
Le
suivi personnalisé du temps de travail est une nécessité
permettant avant tout de protéger le salarié. Le Conseil d’Etat
indiquait déjà que « l'employeur doit être en mesure de
fournir à l'inspection du travail (…), de même qu'au juge en cas
de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail
accomplies, les documents leur permettant de contrôler la durée du
travail accomplie par chaque salarié ».
Afin
de contraindre
les employeurs à tenir ce décompte réglementaire, le Code
du travail permet à l’inspection du travail de sanctionner
administrativement l’employeur. En ce sens, l’article L. 8115-1
prévoit que, sur rapport de l'agent de contrôle, « et
sous réserve de l'absence de poursuites pénales », le
Directeur régional de l’économie, de l’emploi, du travail et
des solidarités (DREETS) puisse prononcer à l'encontre de
l'employeur une amende administrative d’un montant de 4 000 euros
maximum par salarié concerné par le manquement. « Avant
toute décision, l'autorité administrative informe par écrit la
personne mise en cause de la sanction envisagée, en portant à sa
connaissance le manquement retenu à son encontre et en l'invitant à
présenter, dans un délai fixé par décret en Conseil d'Etat, ses
observations » (art. L. 8115-5 C. trav).
Les modalités du décompte
La
récente décision du Conseil d’Etat concernait justement une
société ayant fait l’objet d’une telle amende, l’inspection
du travail ayant considéré que le système mis en place ne
permettait pas de décompter le temps de travail effectif des
salariés de façon optimale. Dans
cette entreprise, l’employeur avait recours à un outil
informatique comportant, pour chaque salarié, ses heures de travail
anticipées, le système permettant une correction a posteriori.
Jugeant
de la régularité de ce système de décompte, le Conseil d’Etat
estime que « lorsque l'employeur choisit de recourir, aux
fins de décompte des heures accomplies, à un outil informatique
comportant pour chaque salarié ses heures de travail anticipées, le
système qu'il met en œuvre doit garantir que les éventuelles
discordances entre le nombre d'heures anticipées
et le nombre d'heures effectivement accomplies soient assurées
d'être corrigées pour chaque jour et chaque semaine de travail ».
Il
ajoute que : « Si la brièveté du délai selon lequel
cette correction est effectuée participe du caractère objectif,
fiable et accessible du système mis en œuvre, la circonstance,
inhérente à un tel système, que, dans l'intervalle, le nombre
d'heures mentionné, qui ne figure qu'à titre provisoire dans
l'outil informatique, puisse ne pas correspondre au nombre d'heures
effectivement accomplies ne saurait, par elle-même, conduire à le
regarder comme ne présentant pas les garanties d'objectivité, de
fiabilité et d'accessibilité requises ».
Cette
heureuse décision du Conseil d’Etat introduit donc une marge
de souplesse et vient donc censurer une lecture trop rigide et
théorique de la réglementation.
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CE,
17 avril 2025, n° 492418