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Modalités de décompte du temps de travail effectif : des précisions utiles du Conseil d’Etat

Dans une décision du 17 avril dernier, le Conseil d’Etat a apporté d’importantes précisions sur les modalités permettant à un employeur de décompter le temps de travail effectif de ses salariés lorsque ceux-ci ne travaillent pas selon le même horaire collectif de travail affiché.

©Illustration Adobe Stock Михаил Решетников
©Illustration Adobe Stock Михаил Решетников

Le principe du décompte du temps de travail

On le sait, la législation en matière de temps de travail est souvent difficile à appréhender. La difficulté est accrue, en pratique, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif. Dans ce cas, l'article L. 3171-2 du Code du travail prévoit que « l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés ». Le décompte du temps de travail doit donc être individualisé et l’employeur doit prévoir un suivi matériel de ce décompte.

L'article D. 3171-8 du même code est même plus précis encore puisque dans ce même cas, « la durée du travail de chaque salarié concerné est décomptée selon les modalités suivantes : 1° Quotidiennement, par enregistrement, selon tous moyens, des heures de début et de fin de chaque période de travail ou par le relevé du nombre d'heures de travail accomplies ; 2° Chaque semaine, par récapitulation, selon tous moyens, du nombre d'heures de travail accomplies par chaque salarié ».

A cet égard, le Conseil d’Etat avait déjà jugé que : « Lorsque le travail de tous les salariés d'un même service ou atelier ou d'une même équipe est organisé selon le même horaire collectif par l'employeur (…), il doit informer les salariés par affichage des heures auxquelles commence et finit chaque période de travail et adresser, avant son application, le double de cet horaire collectif à l'inspection du travail. Dans les autres cas, un décompte des heures accomplies par chaque salarié doit être établi quotidiennement et chaque semaine » (CE, 1er février 2023, n° 457116, B).

Amende administrative en cas de violation du principe

Le suivi personnalisé du temps de travail est une nécessité permettant avant tout de protéger le salarié. Le Conseil d’Etat indiquait déjà que « l'employeur doit être en mesure de fournir à l'inspection du travail (…), de même qu'au juge en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, les documents leur permettant de contrôler la durée du travail accomplie par chaque salarié ».

Afin de contraindre les employeurs à tenir ce décompte réglementaire, le Code du travail permet à l’inspection du travail de sanctionner administrativement l’employeur. En ce sens, l’article L. 8115-1 prévoit que, sur rapport de l'agent de contrôle, « et sous réserve de l'absence de poursuites pénales », le Directeur régional de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS) puisse prononcer à l'encontre de l'employeur une amende administrative d’un montant de 4 000 euros maximum par salarié concerné par le manquement. « Avant toute décision, l'autorité administrative informe par écrit la personne mise en cause de la sanction envisagée, en portant à sa connaissance le manquement retenu à son encontre et en l'invitant à présenter, dans un délai fixé par décret en Conseil d'Etat, ses observations » (art. L. 8115-5 C. trav).

Les modalités du décompte

La récente décision du Conseil d’Etat concernait justement une société ayant fait l’objet d’une telle amende, l’inspection du travail ayant considéré que le système mis en place ne permettait pas de décompter le temps de travail effectif des salariés de façon optimale. Dans cette entreprise, l’employeur avait recours à un outil informatique comportant, pour chaque salarié, ses heures de travail anticipées, le système permettant une correction a posteriori.

Jugeant de la régularité de ce système de décompte, le Conseil d’Etat estime que « lorsque l'employeur choisit de recourir, aux fins de décompte des heures accomplies, à un outil informatique comportant pour chaque salarié ses heures de travail anticipées, le système qu'il met en œuvre doit garantir que les éventuelles discordances entre le nombre d'heures anticipées et le nombre d'heures effectivement accomplies soient assurées d'être corrigées pour chaque jour et chaque semaine de travail ».

Il ajoute que : « Si la brièveté du délai selon lequel cette correction est effectuée participe du caractère objectif, fiable et accessible du système mis en œuvre, la circonstance, inhérente à un tel système, que, dans l'intervalle, le nombre d'heures mentionné, qui ne figure qu'à titre provisoire dans l'outil informatique, puisse ne pas correspondre au nombre d'heures effectivement accomplies ne saurait, par elle-même, conduire à le regarder comme ne présentant pas les garanties d'objectivité, de fiabilité et d'accessibilité requises ».

Cette heureuse décision du Conseil d’Etat introduit donc une marge de souplesse et vient donc censurer une lecture trop rigide et théorique de la réglementation.


* CE, 17 avril 2025, n° 492418